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http://... (PDF)Lors du premier séminaire du Réseau francophone Genre et changement climatique à Paris les 27 et 28 janvier 2011, Annie Matundu Mbambi, vice-présidente de l’association congolaise Action femmes du Bas Fleuve (AFEBAF), confiait que son organisation accompagne les populations, et en particulier les femmes, de la région du Bas Congo, en République démocratique du Congo (RDC), dans leur démarche engagée de préservation des forêts et de la nature.
Ces femmes partent en effet du constat que déforestation et changement climatique sont liés, ont des effets néfastes sur les écosystèmes, la biodiversité et les relations de genre.
Les forêts de la région du Bas Congo regorgent d’espèces très variées de bois, à l’image du pays, qui abrite la plus grande forêt d’Afrique (62 % du territoire) et la deuxième forêt tropicale du monde au titre de sa grande biodiversité (Etat des forêts du Congo 2006). Mais, la longue période de conflit armé (1998-2003) connaît des impacts sociaux lourds tels que les violences de genre et la pauvreté. Cette situation génère des effets négatifs sur le changement climatique. En effet, afin de lutter contre la famine et la malnutrition générées par ce contexte de transition, une partie de la réserve forestière de la RDC est illégalement déboisée et occupée par des paysans, hommes et femmes, qui cherchent des solutions au plus vite et font commerce de braises ou de grumes (écorce qui reste sur le bois coupé). Le risque est grand de voir disparaître les forêts dans l’exploitation des chaudronneries, la production du bois de chauffe et du bois de construction. Cette extension de la production intensive de l’industrie du bois a des effets directs notamment sur la désertification et la sécheresse, les écosystèmes se trouvant ainsi bouleversés.
Cette déforestation est à son tour productrice de pauvreté, elle-même ayant des impacts différenciés de genre. En effet, la majorité des populations dépend des produits de la forêt pour leur subsistance et sa destruction réduit l’accès aux ressources naturelles, surtout pour ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter, notamment en ce qui concerne les plus pauvres dont les femmes. Par ailleurs, la déforestation, en aggravant les feux de forêt, les inondations, les érosions, les chaleurs intenses, dégrade les conditions de travail des femmes, principales productrices des aliments de base, qui subissent la chaleur accrue, voient leurs terrains inondés… Ensuite, le déboisement anarchique occasionne la chute des rendements agricoles, ce qui amène la malnutrition, la pénurie de nourriture et d’approvisionnement en eau, dont les femmes sont responsables. En outre, la déforestation rend les déplacements et le transport de l’eau, dont les femmes sont socialement en charge, plus difficiles, plus longs et plus dangereux du point de vue de leur sécurité personnelle, occasionnant parfois des violences sexuelles, individuelles ou collectives, à leur encontre. Annie Matundu Mbambi explique que, dans la période actuelle de transition, les forces étrangères déboisent les forêts dans le cadre de leur stratégie militaire, ce qui crée autant de lieux à haut risque où les conflits se produisent et où les femmes sont agressées par les troupes armées : « Les femmes sont souvent prises en étau par les belligérants ».
La déforestation : révélatrice de genre
« Organisez-vous là où vous êtes », telle est la devise de l’AFEBAF, née en juin 2006, de l’ambition de femmes, jeunes et moins jeunes, du Bas Fleuve dans la province du Bas Congo, de se rassembler afin de participer activement à la prise de décision et au développement durable et intégral de cette région, tout en contribuant à la reconstruction globale de la RDC post-conflit. Ces femmes interviennent sur plusieurs terrains dont la gestion des déchets, l’assainissement, l’accès à l’eau, le reboisement, la prise en compte des impacts du changement climatique dans les stratégies de développement, tout en luttant contre les violences sexuelles. La plupart des activités que l’AFEBAF mène cible l’ensemble de la population rurale, y compris les hommes, leur ambition étant la prise de conscience par les villageois du lien entre lutte contre les déforestations, changement climatique, pauvreté, et obtention de la paix et du changement social.
Par le prisme de la déforestation, les femmes constatent que les inégalités de genre se reproduisent et que la division du travail s’amplifie clairement. Harmandine Phoba, exploitante du commerce de braise, explique par exemple, que les femmes sont confinées à ramasser le charbon, en sacs de 20 kg qui valent 18 000 FCFA (13 €). Les hommes vendent le charbon collecté et parfois ne remettent aux femmes que l’équivalent de trois euros, ce qui constitue une inégalité flagrante puisque la productrice (femme) perçoit 25 % des revenus de celui (homme) qui commercialise.
A contrario, si les femmes font la cueillette des mangues ou des oranges, lorsqu’elles iront les vendre sur le marché, elles partageront la totalité des revenus perçus avec toute leur famille, ce qui améliorera le niveau de vie de l’ensemble du foyer (époux inclus) et les femmes connaîtront des bénéfices accrus puisqu’elles ne reverseront pas des dividendes à leurs maris, frères, pères…
La forêt : lieu d’intervention privé et public des femmes
Harmandine a suivi une des formations mises en place par l’AFEBAF sur la restauration des carrières. Cette formation fait partie d’un ensemble plus large de sessions d’autonomisation sur l’apprentissage des techniques de transformation des produits agricoles (extraction de l’huile, du beurre de karité, des fruits et légumes, des céréales, des tubercules) ou encore l’organisation des femmes en groupements pour l’assainissement de la ville. Depuis, elle a gagné en confiance, se sent maitresse de son outil de travail et participe volontiers aux audiences publiques, notamment relatives aux politiques locales de reboisement. Elle participe ainsi à l’élaboration de programmes locaux d’adaptation et d’atténuation au changement climatique.
De plus, comme Solange Nzigire, responsable de l’extraction de l’huile, en témoigne ces formations permettent aux femmes d’établir le lien entre lutte contre les violences sexuelles, menace permanente, et activité économique : « C’est à partir de ma propre histoire que je me bats pour les femmes de l’informel très exposées aux violences sexuelles ». Ces sessions servent aux femmes qui travaillent les produits de la forêt de lieux d’échanges sur l’intime, les souffrances induites et les solutions à partager. En cela, ces espaces permettent aux femmes d’approfondir leur prise de conscience du lien entre préservation de l’environnement (sphère publique) et sécurité personnelle (sphère privée). Les femmes du Bas Fleuve appréhendent ainsi que les questions de changement climatique sont autant privées que publiques.
Parallèlement, l’AFEBAF mène une politique de plaidoyer politique en direction des décideurs-es nationaux pour qu’ils votent des textes de lois, mènent des évaluations environnementales nationales conjointement avec les professionnels du secteur privé et participent à des campagnes internationales de lutte contre la déforestation, l’application des accords internationaux tardant à voir le jour. En effet, à l’heure de la transition, les mécanismes publics en charge de la protection de l’environnement et de la conservation de la nature, à savoir le ministère de l’Environnement, de la Conservation de la nature et du tourisme, a mis en place des Programmes de changement climatique, comme le Programme régional d’Afrique centrale pour l’environnement (CARPE). L’Institut congolais pour la Conservation de la nature (ICCN) quant à lui a effectué plusieurs études de terrain. Mais les politiques publiques adaptées, notamment en soutien aux efforts des communautés dans la lutte contre la déforestation et dans le développement d’alternatives agricoles, n’ont pas encore été mises en oeuvre. Des programmes intégrant le genre dans le domaine restent à créer.
Aussi, l’AFEBAF mène des campagnes d’information à la fois auprès des populations locales afin de les informer de l’état d’avancement des décisions prises en matière d’adaptation et d’atténuation au changement climatique au niveau national mais aussi en direction des autorités nationales sur les actions menées par les femmes du Bas Fleuve sur la déforestation. Ces campagnes témoignent de l’engagement de l’organisation à s’intégrer dans un processus bilatéral Etat-société civile de consultation, de concertation et de transformation dans le domaine.
Par ces trois champs d’action (autonomisation, plaidoyer politique, information), et en s’adressant à l’ensemble des populations, hommes et femmes, les femmes de la région s’immiscent dans la révélation, sur le terrain de la gestion environnementale, de la division sexuelle du travail, entre sphère publique et sphère privée. En cela, elles ouvrent un réel champ d’innovation dans la lutte contre le changement climatique.
Leçons retenues
Les femmes du Bas Congo, actrices du reboisement, de la gestion du foyer, sont les réelles expertes de la lutte contre la déforestation et par voie de conséquence de la lutte contre le changement climatique. La démarche de l’AFEBAF est innovante car elle introduit une nouvelle logique d’expertise, qui repose moins sur la connaissance académique ou institutionnelle, que sur la connaissance de proximité géographique, écologique, économique, sociale, culturelle, politique des femmes de terrain.
A ce seul titre, en suivant un processus bilatéral dans la diffusion d’informations sur le changement climatique, l’AFEBAF fait la démonstration que les actions des femmes sur la déforestation doivent être rendues visibles en tant que politiques réplicables à grande échelle.
Les expériences de l’AFEBAF montrent également que le local et le global sont interdépendants, tout autant que la gestion du privé et du public. Seule l’intégration de cette vision par les décideur-es nationaux-les ou internationaux-les rend plausible l’effectivité des accords internationaux en la matière.
Joelle Palmieri, Genre en Action
L’étude de cas s’appuie sur les données de ; Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, 2006, Les Forêts du Bassin du Congo, Etat des Forêts 2006,
http://www.cbfp.org/docs/key_docs/Les%20forets%20du%20Bassin %20du%20Congo%202006%20neu.pdf, consulté le 24 octobre 2011
Pour de plus amples informations, veuillez prendre contact avec : Annie Matundu Mbambi, vice-Présidente de l’Action Femmes du Bas Fleuve, amatmbambi(@)yahoo.fr, afebaf(@)yahoo.fr.
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