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Titre de la source : Maroc: La perspective de genre dans le processus de justice transitionnelleÉditeur(s) : Centre International pour la Justice Transitionnelle
Année : 2011
Maroc: La perspective de genre dans le processus de justice transitionnelle (PDF)
Le mouvement des femmes au Maroc est un mouvement politique et social dont les racines
remontent assez loin dans l’histoire moderne du pays. Son existence est l’aboutissement d’un long processus de consolidation de l’action pour le développement démocratique, économique et social du Maroc.
Sa configuration en tant que mouvement qui revendique l’égalité entre hommes et femmes dans toutes les sphères ne s’est complétée qu’à partir de la décennie 1980, avec la naissance d’un premier groupe d’associations féministes et autonomes, qui a fait de la question de l’émancipation de la femme la priorité et la finalité de son combat, indépendamment de toute autre considération.
La première étape de l’existence de ce mouvement a été caractérisée par une préoccupation urgente de se dissocier de ses affiliations politiques. Issues des sections féminines des partis politiques de gauche, les femmes activistes faisaient face au défi de tracer une ligne de démarcation entre leur engagement féministe et leurs allégeances politiques. Outre leur préoccupation de mettre en place des structures efficaces, leur priorité était donc de confirmer leur autonomie et leur indépendance.
Le mouvement s’est ensuite focalisé sur la dénonciation des dispositions de la législation marocaine discriminatoires à l’égard des femmes. Cette action s’est centrée sur le code de la famille, principale source de légitimation de la discrimination basée sur le sexe, puisque ce texte confortait le principe de la mise sous tutelle de la femme et son statut de citoyenne de deuxième catégorie. La troisième étape s’est caractérisée par une évolution de l’action de ce mouvement vers un travail de plaidoyer, se transformant ainsi en une force de mobilisation et de proposition .
Le rôle des organisations pour les droits des femmes a été déterminant dans l’insertion des droits et conditions des femmes dans l’agenda politique et social au Maroc. Ces organisations ont été à l’origine d’une plus grande prise en compte des femmes dans les politiques et programmes publics .
L’impact concret des mobilisations de ces dernières années s’est traduit par une amélioration sensible du statut et des conditions de vie des Marocaines
Les organisations de défense des droits des femmes et le mouvement féministe en général n’ont cependant pas participé à la dynamique de la société civile qui revendiquait la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle pour traiter les violations graves des droits humains – ni n’ont tenté d’accompagner ou d’influencer ce processus de justice transitionnelle en gestation.
D’un côté, il n’y a pas eu d’effort spécifique pour inclure ces organisations dans le processus. De l’autre, ce mouvement n’a pas non plus développé des revendications relatives aux violations graves des droits humains dont avaient été victimes les femmes durant les Années de plomb, à l’impact différencié sur elles de ces violations ni même à l’examen spécifique des violences sexuelles qu’elles ont subies durant cette période.
Plusieurs explications à cette absence de mobilisation – et la combinaison de celles-ci – peuvent être avancées:
Les organisations féministes ont concentré leurs préoccupations – et toutes leurs capacités institutionnelles – sur les droits des femmes dans l’actualité (dans le présent et l’avenir). Ainsi, elles ont cherché à être en phase avec l’ordre du jour international et les débats nationaux sur le statut de
la femme, via la réforme des codes la famille et de la nationalité, mais se sont distanciées d’un autre volet du contexte national: la réflexion sur les violations du passé.
L’origine sociale du mouvement féministe mouvement essentiellement urbain, réunissant activistes d’ONG, chercheuses et militantes des classes moyennes et supérieures diffère largement de celuide la grande majorité des femmes victimes de la violence politique des Années de plomb, qui vivent dans les régions rurales ou les zones périurbaines et sont analphabètes ou semi-analphabètes. Les préoccupations des unes et des autres diffèrent donc quant aux violations du passé.
Les associations de femmes avaient la volonté, à l’époque, de «ne pas se disperser» et considéraient que chaque groupement agissant dans le cadre des droits humains devait se spécialiser dans un domaine précis . Selon elles, il y avait déjà suffisamment d’acteurs impliqués dans les mécanismes de justice transitionnelle sans qu’il soit par conséquent nécessaire d’y ajouter une nouvelle voix.
D’une manière plus générale, l’aspect transversal de la dimension genre comme approche de développement et la thématique de la justice transitionnelle comme voie pour remédier non seulement aux injustices du passé mais également pour promouvoir l’égalité des genres étaient encore en pleine construction dans les années 90 .
Les femmes ont dépendu, en théorie, des associations généralistes des droits humains et des associations de victimes pour transmettre leurs préoccupations en matière de vérité, justice et réparations.
Mais, d’une part, comme cela a été vu dans la section précédente, les associations de victimes n’ont développé aucune revendication spécifique relative aux droits des femmes, celles-ci se positionnant plutôt en tant que mères, épouses, filles ou sœurs des hommes détenus ou disparus et occultant leurs propres souffrances. Et d’autre part, la question d’une intégration de l’égalité et de l’équité de genre dans les revendications des associations des droits humains relatives au traitement des atteintes graves à ces droits a été totalement absente .
L’absence d’implication effective du mouvement féministe a constitué sans aucun doute l’un des principales causes de l’intégration tardive d’une dimension genre dans le processus de l’IER.
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