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Titre de la source : Les indices d'égalité de genre : les chiffres ne mentent pas mais ils ne disent pas non plus toute la véritéAuteur(s) : Masum Momaya
Éditeur(s) : Association for Women in Development (AWID) (Dossiers du vendredi)
Pays d'édition : Royaume-Uni
Année : 2010
Les indices d'égalité de genre : les chiffres ne mentent pas mais ils ne disent pas non plus toute la vérité (en ligne)
Quels sont les apports et les biais des indices d’égalité de genre ? Cet article relayé par l’AWID fait un état des lieux de la fiabilité des indicateurs statistiques qui évaluent les progrès réels de l’égalité de genre. Ces chiffres nous rappellent les grandes difficultés auxquelles les femmes sont confrontées mais posent également le problème de la différence de ces droits tels qu’ils apparaissent sur le papier et tels qu’ils sont dans la réalité.
Un monde de statistiques.
Si une enquête était organisée parmi les défenseurs des droits, ou même dans le grand public, pour savoir quels sont les pays qui sont les plus proches de l’égalité de genre, les personnes interrogées mentionneraient certainement les pays traditionnels : les pays nordiques (l’Islande, la Norvège et la Suède), certains pays avoisinants (les Pays-Bas et la Suisse) et d’autres pays du Nord (l’Australie et le Canada). Mais quelle est la situation de pays comme le Lesotho, les Philippines, le Rwanda et l’Afrique du Sud qui se trouvent en bonne position cette année dans plusieurs systèmes de mesure de l’égalité de genre ? Sur quoi s’appuient ces classifications de pays ?
Les progrès accomplis sur la voie de l’égalité des sexes sont évalués chaque année à l’aide de plusieurs indices statistiques, le Gender-related development index (Indice sexospécifique du développement) (GDI) élaboré par les Nations Unies, le Global Gender Gap Index (Indice sur l’inégalité des sexes dans le monde) (GGI) proposé par le Forum économique mondial et le Gender Equity Index (Indice d’équité de genre) (GEI), compilé par Social Watch, un réseau international d’organisations citoyennes. Ces indices sont des calculs composés basés sur des statistiques collectées de façon cohérente et disponibles de façon généralisée, y compris dans les domaines de l’espérance de vie, de la scolarisation, de la participation de la main-d’œuvre et de la représentation politique. Ces statistiques sont collectées depuis la création des Nations Unies en 1945 et servent à la fois comme indicateurs et comme proxys pour différents déterminants de l’égalité. Ces calculs sont appliqués aux femmes et aux hommes à l’échelon national et déterminent la position des pays en comparant leur situation par rapport aux autres et dans le temps.
Les évaluations récentes de l’égalité de genre reflètent une situation assez sombre mais péremptoire.
Il n’est pas étonnant de constater que tous les indices relevés en 2009, y compris le GDI, le GGI et le GEI, font apparaître que l’inégalité de genre est répandue et que le fossé ne se referme que très lentement, voire pas du tout dans beaucoup de pays. En fait, ce fossé a même tendance à se creuser dans certains pays d’Asie du Sud, d’Asie du Sud-Est et de l’Afrique subsaharienne, selon l’indice GEI de Social Watch. Qui plus est, plusieurs de ces indices signalent que les bénéfices économiques obtenus par des femmes en 2008, essentiellement par le biais d’emplois rémunérés dans des secteurs économiques formels, ont régressé en 2009 à la suite de la crise systémique, probablement bien avant que celle-ci n’atteigne son niveau de gravité actuel.
Parallèlement à ces conclusions peu réjouissantes, ces indices font ressortir la situation apparente de certains pays comme l’Afrique du Sud qui figure dans la liste des « top ten » du GGI et du Rwanda qui figure en troisième place du GEI, ce qui rend compte de l’impact significatif des politiques publiques sur l’égalité de genre, indépendamment du niveau général de développement économique. Le Rwanda, par exemple, occupe une bonne place dans les classifications, bien qu’il ait été récemment le théâtre d’un génocide brutal et qu’il possède des ressources économiques très limitées par rapport à la plupart des pays du Nord global. Cette bonne place dans les classifications est le résultat de la forte représentation des femmes au Parlement et des efforts considérables consentis pour créer des sources de revenus pour les femmes. Les responsables de l’élaboration de politiques citent le Rwanda en exemple pour affirmer que les pays pauvres n’ont aucune excuse pour priver les jeunes filles de scolarisation et pour marginaliser les femmes du marché de l’emploi et de la participation politique.
A l’inverse, cette conclusion fait également ressortir que l’égalité de genre n’est pas garantie dans les pays riches. Malgré des bases solides, grâce à l’affectation de ressources et l’application de politiques publiques sensibles à la dimension de genre, ces pays doivent continuer d’adopter des mesures proactives pour assurer l’égalité et garantir que toutes les femmes soient concernées par ces efforts. Le message qui en ressort est que les ressources financières sont nécessaires mais ne sont pas suffisantes pour garantir l’égalité de genre et que la volonté politique et des politiques publiques volontaristes peuvent faire une grande différence.
Les statistiques reflètent des situations évidentes
Ce genre de constat est largement évoqué dans les grands moyens de communication et le public à l’échelon mondial. Les éditorialistes et reporters planchent chaque année sur le sujet à l’occasion de la journée internationale des femmes, le 8 mars, expliquant au grand public ce que les défenseurs des droits des femmes savent déjà depuis longtemps, à savoir que les progrès sont insuffisants.
Le GGI est à l’ordre du jour de chaque réunion annuelle du Forum économique mondial à Davos. Cette année, la co-auteure de ce rapport, Saadia Zahidi, utilise ces statistiques pour mobiliser des adhérents autour des campagnes intitulées Investir dans les femmes, proposées par la Fondation Nike dans le cadre de l’initiative The Girl Effect ainsi que d’autres initiatives du secteur privé en matière de genre.
Les statistiques relatives aux indices de l’égalité de genre étant généralement acceptées et reconnues sur le plan international, les défenseurs des droits peuvent également les utiliser pour exiger des gouvernements de respecter leurs promesses restées vaines ou pour les féliciter des politiques qu’ils mettent en œuvre.
C’est ainsi que Natalia Cardona, responsable du plaidoyer à Social Watch, a présenté les résultats du GEI aux réunions de la Commission des Nations Unies sur la condition de la femme tenues à New York en mars 2010, où les représentants des gouvernements et les membres des organisations civiles débattent des progrès accomplis depuis la mise en place du Programme d’action de Beijing (Beijing Platform for Action) il y a 15 ans. Cardona précise que, les statistiques utilisées dans le GEI étant collectées et acceptées par les gouvernements, ceux-ci ne peuvent en aucun cas douter des preuves qui y sont présentées ou nier le fait que l’inégalité de genre est encore une réalité. Elle signale que, sur la base du GEI, il apparaît que les gouvernements ne font pas assez d’efforts pour promouvoir l’égalité de genre. D’une manière générale, le GEI constitue un instrument puissant pour demander des comptes à un moment historique où les gouvernements renient leurs engagements vis-à-vis de l’égalité de genre plus qu’ils ne l’ont jamais fait au cours des dernières décennies.
En outre, le GEI étant le seul indice élaboré par une organisation de la société civile (OSC), il cerne clairement les inégalités et utilise des statistiques qui répondent aux demandes et aux préoccupations de ce type d’organisation ; c’est pourquoi les O.N.G. de promotion des droits des femmes l’utilisent souvent pour montrer aux gouvernements que les programmes appliqués sont inefficaces et doivent donc être substitués par d’autres.
Encore beaucoup à dire
Sur le plan plus quotidien du plaidoyer, on commence toutefois à découvrir les limitations de ce type d’indicateurs à plusieurs niveaux.
En premier lieu, étant donné que ces statistiques évaluent les différences entre les hommes et les femmes, elles s’appliquent davantage aux disparités relatives qu’au bien-être général. Cette vision peut s’avérer trompeuse. Par exemple, des pays qui présentent des taux de scolarisation extrêmement faibles mais égaux pour les garçons et les filles peuvent être relativement bien évalués dans un indice car ils ont réduit la différence par le bas. De même, certains pays non démocratiques comme ceux de la région du Golfe peuvent afficher des taux globaux de participation pratiquement égaux mais très faibles, ce qui dissimule la nécessité de réformes politiques généralisées. A l’inverse, d’autres pays comme l’Inde où les taux de participation politique sont très élevés pour les hommes comme pour les femmes en termes de vote et d’organisation politique pourraient ne pas être très bien classés car les indicateurs ne mesurent que le succès des candidats au niveau des plus hautes fonctions.
Par ailleurs, ces statistiques ne considèrent que le chiffre global s’appliquant à toutes les femmes, alors que la réalité indique que, dans un même pays, certaines femmes peuvent jouir d’une bonne position, alors que d’autres sont beaucoup plus défavorisées. Par exemple, dans la plupart des contextes nationaux, les femmes et les jeunes filles de classe moyenne, urbaines, hétérosexuelles et physiquement valides appartenant à des communautés linguistiques et ethniques majoritaires auront probablement beaucoup plus de chances d’accéder aux études, d’obtenir des emplois décents et bien rémunérés et de participer à la vie politique que leurs homologues rurales, pauvres, autochtones, homosexuelles, migrantes ou handicapées.
En outre, même les statistiques apparemment « bonnes » ne peuvent refléter l’ensemble de la situation et peuvent même occulter certaines tendances qui compromettent les droits des femmes. Social Watch fait remarquer, par exemple, que même si le fossé entre les sexes en matière d’éducation diminue dans de nombreux pays, il est important d’en comprendre les raisons. Ainsi, même s’il apparaît qu’un plus grand nombre de fillettes vont à l’école dans un pays déterminé, sont-elles entassées dans des petites salles de classe déjà bondées ? Quelle est la situation réelle des écoles ? Est-il dangereux pour elles de s’y rendre ? Les conditions sont-elles sûres et satisfaisantes du point de vue sanitaire ? Reçoivent-elles une alimentation et des soins de santé adéquats pour étudier ? Les manuels scolaires contiennent-ils des stéréotypes sexistes ? Les enseignants ont-ils la formation suffisante ? Ces jeunes filles se heurtent-elles à une résistance pour appliquer leurs connaissances dans le domaine privé ?
Des questions similaires se posent à propos des statistiques de la main-d’œuvre de la participation politique. Par exemple, l’Espagne et les Philippines occupent à peu près la même place dans la classification du GEI. Ces deux pays obtiennent de bons résultats en termes de réduction des différences dans le domaine de l’éducation, puisque 99 fillettes sont scolarisées par rapport à 100 garçons. Toutefois, les Philippines affichent des taux plus élevés de participation économique alors que l’Espagne compte beaucoup plus de femmes occupant des fonctions politiques. Et pourtant, dans les deux pays, c’est la nature qualitative de la participation qui compte. En effet, beaucoup de femmes philippines travaillent dans le secteur informel, soit chez elles soit à l’extérieur dans des conditions de travail abusives. Pour la plupart, la protection et les bénéfices sont très limités et la réalisation de ce travail implique des coûts et des sacrifices personnels considérables. Par conséquent, le pourcentage élevé de participation à la main-d’œuvre active ne se traduit pas nécessairement par une situation de bien-être pour les femmes.
En revanche, les efforts déployés dans le contexte du système politique espagnol ont permis aux femmes plus progressives de postuler aux fonctions politiques, ce qui s’est traduit par des politiques publiques plus progressives en faveur des femmes ; par conséquent, l’équivalence numérique entre l’Espagne et les Philippines dans la classification du GEI ne veut pas dire nécessairement que les différences se soient résorbées de façon similaire ou positive dans les deux pays.
Dans beaucoup d’autres pays, beaucoup de fonctions politiques sont assumées par des femmes conservatrices, ce qui met en péril les conquêtes obtenues en matière de droits des femmes. Qui plus est, dans certains pays comme l’Inde, qui apparaît au bas de l’échelle du GEI, les femmes sont profondément impliquées dans l’activité politique locale où elles exercent une influence importante dans les décisions politiques communautaires en matière de santé, d’éducation, d’assainissement, d’infrastructure et d’environnement. Pourtant, rien de tout cela n’est reflété dans les statistiques relatives à la participation politique qui ne concernent que la participation à l’échelon national.
Finalement, si les indicateurs portant sur l’éducation, l’économie et la politique abordent différents aspects, ils restent muets sur des problèmes graves qui affectent le bien-être des femmes, telles que les activités de soins non rémunérés, la violence faite aux femmes et les droits sexuels reproductifs. Par exemple, l’Irlande, où l’avortement est interdit, figure parmi les 10 premiers pays les mieux placés dans le GGI de 2009. De même, la sixième place de l’Afrique du Sud s’explique en grande partie par le grand nombre de femmes qui participent au nouveau gouvernement, alors que le pays connaît une pauvreté généralisée, une pandémie du sida et le taux le plus élevé au monde de viols dénoncés. Les Bahamas occupent la cinquième place du GEI, alors que ce pays ne reconnaît pas les unions de personnes de même sexe et n’a pas de législation anti-discrimination à propos de l’orientation sexuelle ou de l’expression/identité de genre.
L’absence de droits sexuels et reproductifs et la violence endémique faite aux femmes peuvent souvent compromettre, voire gommer, les conquêtes réelles reflétées par des « bons » indicateurs statistiques en matière d’éducation, d’emploi et de participation locale.
En outre, le fait qu’aucun des indices ne rend compte des activités de soins non rémunérés peut contribuer involontairement à l’invisibilité actuelle de ce type de travail et au fait qu’il est de plus en plus mis à contribution pour compenser les diminutions de dépenses sociales et les fardeaux de plus en plus lourds que les familles doivent porter dans le contexte de la crise systémique mondiale. Il n’est pas très utile que les femmes puissent accéder à des activités mieux rémunérées et puissent siéger dans des organes représentatifs si les responsabilités qu’elles doivent assumer à la maison sont de plus en plus lourdes et si elles n’ont plus de garantie pour leur santé et leur sécurité.
Enfin, tous les droits sont interdépendants et les statistiques qui cherchent à les mesurer aux fins de l’analyse et du plaidoyer sont encore loin de pouvoir refléter ces situations de façon précise. Entre-temps, ils continuent à envoyer des messages puissants à toute une série d’agents concernés pour leur faire comprendre que beaucoup reste encore à faire. Selon BRIDGE, service de diffusion des connaissances de l’Institute of Development Studies, puisque l’objet de l’évaluation va probablement être considéré comme prioritaire et faire l’objet d’un suivi, les indicateurs apportent la preuve du fait qu’il faut aborder sérieusement la question de l’égalité de genre.
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