Joelle palmieri, Genre en Action
Photo: Session de sensibilisation à la déforestation dans le Bas Congo
(Annie Matundu-Mbambi, vice-présidente de l’Afebaf)
Lors du premier séminaire du Réseau francophone Genre et changement climatique à Paris en janvier 2011, Annie Matundu Mbambi, viceprésidente de l’association congolaise Action femmes du Bas Fleuve (AFEBAF), confiait le but de son organisation est d’accompagner les populations, et en particulier les femmes, de la région du Bas Congo, en République démocratique du Congo (RDC) dans leur engagement pour la préservation des forêts. Ces femmes partent du constat que déforestation et changement climatique sont liés, ont des effets néfastes sur les écosystèmes et les relations de genre.
Les forêts de la région du Bas Congo regorgent d’espèces très variées de bois, à l’image du pays, qui abrite la plus grande forêt d’Afrique (62% du territoire) et la deuxième forêt tropicale du monde au titre de sa grande biodiversité (Etat des forêts du Congo 2006). Mais, la longue période de conflit armé (1998–2003) a laissé des impacts sociaux lourds comme les violences sexuelles et la pauvreté qui ont des effets négatifs sur le changement climatique. En effet, afin de lutter contre la famine et la malnutrition, une partie de la réserve forestière de la RDC est illégalement déboisée et occupée par des paysan-nes qui cherchent des solutions au plus vite. Le risque est grand de voir disparaître les forêts dans l’exploitation des chaudronneries, la production du bois de chauffe et du bois de construction.
Cette extension de la production intensive de l’industrie du bois a des effets directs notamment sur la désertification et la sécheresse.
Inversement, cette déforestation est à son tour productrice de pauvreté et en aggravant les feux de forêt, les inondations, les érosions, les chaleurs intenses, dégrade les conditions de travail des femmes, principales productrices des aliments de base. Le déboisement anarchique occasionne la chute des rendements agricoles, ce qui amène la malnutrition, la pénurie de nourriture et d’approvisionnement en eau, dont les femmes sont responsables. De plus, la déforestation rend les déplacements et le transport de l’eau, dont les femmes sont socialement en charge, plus longs et plus dangereux pour leur sécurité personnelle, occasionnant parfois des violences sexuelles à leur encontre, individuelles ou collectives.
Aussi, les femmes de la région, avec l’appui de l’AFEBAF ont décidé de lutter pour l’adaptation et l’atténuation au changement climatique sur quatre fronts : l’autonomisation, l’action économique et politique, et l’information.
La déforestation : révélateur de genre
«Organisez-vous là où vous êtes », telle est la devise de l’AFEBAF, née en juin 2006, de l’ambition de femmes, jeunes et moins jeunes, dans la province du Bas Congo, de se rassembler afin de participer activement à la prise de décision et au développement durable et intégral de cette région, tout en contribuant à la reconstruction globale de la RDC postconflit. Ces femmes interviennent sur plusieurs terrains dont la gestion des déchets, l’assainissement, l’accès à l’eau, le reboisement, la prise en compte des impacts du changement climatique dans les stratégies de développement, tout en luttant contre les violences sexuelles. La plupart des activités que l’AFEBAF mène ciblent l’ensemble de la population rurale, y compris les hommes, leur ambition étant la prise de conscience par les villageois du lien entre lutte contre les déforestation, changement climatique, pauvreté, et obtention de la paix et du changement social.
Selon Annie Matundu Mbambi, les femmes en milieu rural sont à la fois productrices de la déforestation comme ses premières résistantes. Par exemple, Régine Mambu Masiala, du village de Kinsambamba, fait le lien direct entre exploitation destructrice de la nature et impacts humains : « La déforestation totalement irraisonnée détruit l’arbre généalogique des familles africaines ».
Armandine Phoba, exploitante du commerce de braise, explique que à cause de la déforestation les inégalités de genre se reproduisent et que la division du travail s’amplifie clairement. Par exemple, les femmes sont confinées à ramasser le charbon, en sacs de 20 kg qui valent 18000 FCFA (13 euros). Les hommes vendent le charbon collecté et parfois ne remettent aux femmes qu’environ trois euros, soit 75% de moins que leurs homologues masculins, ce qui constitue une inégalité flagrante. Annie confirme l’équation selon laquelle si les inégalités entre hommes et femmes sont mieux prises en compte dans la gestion de la reforestation, tant par les hommes que par les femmes, toute la communauté et par extension toute l’économie nationale en bénéficiera.
La forêt : lieu d’intervention privé et public des femmes
Armandine Phoba a suivi une des formations mises en place par l’AFEBAF sur la restauration des carrières. Cette formation fait partie d’un ensemble plus large de sessions d’autonomisation.
Depuis, elle a gagné en confiance, se sent maitresse de son outil de travail et participe volontiers aux audiences publiques, notamment relatives aux politiques locales de reboisement. Elle participe ainsi à l’élaboration de programmes locaux d’adaptation et d’atténuation au changement climatique.
Comme Solange Nzigire, responsable de l’extraction de l’huile, en témoigne ces formations permettent aux femmes d’établir le lien entre lutte contre les violences sexuelles, menace permanente, et activité économique : « C’est à partir de ma propre histoire que je me bats pour les femmes de l’informel très exposées aux violences sexuelles ». Ces sessions servent aux femmes qui travaillent les produits de la forêt de lieux d’échanges sur l’intime, les souffrances qu’il induit et les solutions à partager. En cela, ces espaces permettent aux femmes d’approfondir le lien entre préservation de l’environnement (sphère publique) et sécurité personnelle (sphère privée). Ces femmes réalisent ainsi que les questions de changement climatique sont autant privées que publiques.
Par ailleurs, le montage économique de pépinières répond à la plupart des besoins de la gestion du foyer : nutrition, santé. Comme le souligne Régine, les femmes ont désormais décidé de ne planter que du « bois de village », uniquement dédié aux besoins des habitants du village. Elles rationalisent l’utilisation des ressources naturelles, ramenant l’usage du bois aux besoins des communautés et empruntent une stratégie d’exploitation durable des forêts. Elles se gardent bien de viser une exploitation intensive, ce qui présente l’intérêt de rompre avec une logique à court terme de déboisement à fort profit financier. Elles participent à l’atténuation au changement climatique.
Parallèlement, l’AFEBAF mène une politique de plaidoyer politique en direction des décideur-es nationaux pour qu’ils votent des textes de lois, mènent des évaluations environnementales nationales conjointement avec les professionnels du secteur privé et participent à des campagnes internationales de lutte contre la déforestation, l’application des accords internationaux tardant à voir le jour.
L’AFEBAF mène des campagnes d’information à la fois auprès des populations locales afin de les informer de l’état d’avancement des décisions prises en matière d’adaptation et d’atténuation au changement climatique au niveau national mais aussi en direction des autorités nationales sur les actions menées par les femmes du Bas Fleuve sur la déforestation. Ces campagnes témoignent de l’engagement de l’organisation à s’intégrer dans un processus bilatéral Etatsociété civile de consultation, de concertation et de transformation dans le domaine.
Par ces quatre champs d’action (autonomisation, économie durable, plaidoyer politique, information), et en s’adressant à l’ensemble des populations, hommes et femmes, les femmes de la région s’immiscent dans la révélation, sur le terrain de la gestion environnementale, de la division sexuelle du travail, entre sphère publique et sphère privée. En cela, elles ouvrent un réel champ d’innovation dans la lutte contre le changement climatique.
Leçons retenues
Les femmes du Bas Congo, actrices du reboisement, de la gestion du foyer, sont les réelles expertes de la lutte contre la déforestation et par voie de conséquence de la lutte contre le changement climatique. La démarche de l’AFEBAF est innovante car elle introduit une nouvelle logique d’expertise, qui repose moins sur la connaissance académique ou institutionnelle, que sur la connaissance de proximité géographique, écologique, économique, sociale, culturelle, politique des femmes de terrain.
En suivant un processus bilatéral dans la diffusion d’informations sur le changement climatique, l’AFEBAF fait la démonstration que les actions des femmes sur la déforestation doivent être rendues visibles en tant que politiques réplicables à grande échelle. Cet engagement a pour effet immédiat et conjoint d’intégrer transversalement le genre dans les politiques de changement climatique et inversement. L’un ne peut se concevoir sans l’autre, au risque de négliger l’adhésion de pans entiers de la population et de mettre en péril les piliers des politiques de développement durable et écologique.
Les expériences de l’AFEBAF montrent que le local et le global sont interdépendants, tout autant que la gestion du privé et du public. Seule l’intégration de cette vision par les décideur-es nationaux-les ou internationaux-les rend plausible l’effectivité des accords internationaux en la matière.
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