Ressource
Auteur(s) : Joelle PalmieriÉditeur(s) : Institute for development studies (Kit actu genre et changement climatique)
Pays d'édition : Grande-Bretagne
Année : 2011
Selon Yahaya Gouzaye, coordonateur de projet au sein de l’ONG Développement pour un Mieux-Etre (DEMI-E) (1), le Niger connaît de nombreux impacts du changement climatique dont la désertification, la crise agricole et la migration des populations. Aussi, dans son objectif d’allier développement véritable et amélioration des conditions de vie des populations, l’organisation nigérienne oriente ses activités de lutte contre le changement climatique en intégrant une approche participative genrée.
Malgré les opérations de Conservation des eaux et des sols, de Défense et restauration des sols (CES/DRS) et de reboisement entreprises au niveau national, le Niger connaît une grande difficulté à inverser l’avancée du désert. Chaque année, la superficie des espaces cultivables perdus du fait de la désertification est deux fois plus élevée que celle récupérée à travers les opérations de restauration. Cette tendance a des impacts sur l’accès aux ressources naturelles dont l’eau mais aussi le bois qui constitue la principale source d’énergie des ménages aussi bien en milieu rural que urbain. Ces impacts sont différenciés selon les genres, les femmes étant socialement responsables de la collecte de l’eau et du bois afin d’assurer la sécurité alimentaire et la santé des ménages. Par ailleurs, selon l’enquête sur la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire de décembre 2009 (2), en 2007, 12 % de la population a sévèrement été touchée et 22 % de manière modérée. Yahaya Gouzaye rappelle que 80 % de la population nigérienne vit en milieu rural où elle pratique l’agriculture et l’élevage selon des techniques extensives, traditionnelles, peu productives. En raison du changement climatique et de la géographie des lieux, la production agricole devient aléatoire.
Par conséquent, les terres de cultures se réduisent au profit de bidonvilles où des familles, de plus en plus nombreuses, viennent chercher la sécurité alimentaire. Cette urbanisation croissante connaît des conséquences sociales et de genre dramatiques. Des enfants, et en particulier des petites filles, s’en voient déscolarisés et les violences, notamment de genre, aggravées. Enfin, en raison de la différenciation des rôles sociaux de genre, les femmes n’ont pas légalement accès à la terre, ce qui a pour effet direct qu’elles ne peuvent pas directement agir sur l’ensemble de ces impacts critiques du changement climatique.
Prenant acte de ces impacts du changement climatique sur la justice sociale et de genre, l’ONG Développement pour un Mieux-Etre (DEMI-E) développe des activités de lutte pour l’adaptation et l’atténuation au changement climatique avec une perspective de genre à travers la participation.
Faire participer pour garantir la durabilité
Née en 1998, de la conviction que « le développement véritable ne peut se faire sans l’amélioration des conditions de vie des populations », l’ONG DEMI-E a choisi de mettre la priorité sur l’accès à l’eau, la santé, l’environnement et la bonne gouvernance. C’est ainsi qu’elle entend « contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations urbaines et périurbaines du Niger ». Intervenant dans six régions du pays, l’organisation développe des actions en faveur de l’amélioration de la disponibilité en eau. L’accès à l’eau est conçu comme une question environnementale et comme un axe transversal aux problèmes socioéconomiques majeurs que connaît la population nigérienne que sont le VIH⁄SIDA et la malnutrition.
Aussi, loin de considérer l’adaptation au changement climatique comme une question technique, DEMI-E a pris pour parti de faire reposer ses stratégies d’intervention sur les besoins réels identifiés et exprimés par les populations locales. Pour l’ONG, l’adaptation au changement climatique est avant tout une question sociale. Elle requiert une adhésion et une implication des personnes, hommes et femmes, autant victimes qu’actrices du changement climatique. Ainsi, comme l’explique Yahaya Gouzaye, DEMI-E a toujours souhaité orienter ses stratégies de manière participative, depuis la réception et l’analyse des demandes provenant d’un village, d’une commune, d’une association ou d’un groupement jusqu’au transfert des technologies adaptées aux communautés villageoises, le tout en prenant en compte une perspective de genre.
Dans l’exemple précis du projet de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) (3) implanté dans la vallée de la Tarka, entre les départements de Bouza et de Madaoua dans la région de Tahoua, les femmes ont été consultées à égalité des hommes des villages, afin d’établir un diagnostic complet de la situation des villages ainsi que des problématiques et thématiques spécifiques aux caractéristiques géographiques des différentes zones qui composent le Bassin (rive gauche, rive droite, vallée). Ce diagnostic a été réalisé par l’intermédiaire d’outils que l’ONG utilise : l’Outil d’inspection des risques à base communautaire en matière d’adaptation et de moyens de subsistance (CRiSTAL (4)) et l’outil d’Analyse de la Vulnérabilité et de la Capacité d’Adaptation aux changements climatiques (AVCA), qui sont des outils d’aide à la prise de décision. Selon Yahaya Gouzaye, l’application de ces outils a aidé les communautés des villages à identifier la vulnérabilité des ménages, à évaluer leur capacité à faire face aux aléas et risques climatiques et à proposer des plans d’action GIRE au niveau local.
Boubé Touni, âgée de 55 ans, du village de Kochimaoua et déléguée du processus GIRE, témoigne de comment l’ensemble de ce processus a permis aux femmes de gagner en autonomie sur leurs productions agricoles : « Il y a 10 à 20 ans nous avions plus de rendements pour nos récoltes et de pâturages pour nos animaux. Mais aujourd’hui avec les effets du changement climatique, il y a insuffisance des pluies causant du coup l’insécurité alimentaire. Cela nous tracasse beaucoup. Avec les travaux CES/DRS et des partenaires du développement dont le PGIRE, nos terres deviennent cultivables, le pâturage est accessible et le couvert végétal est regarni ».
De la participation à l’autonomie des femmes
Sur le terrain, la disparition progressive des zones humides, la dégradation de la biodiversité et des champs de cultures mettent à rude épreuve la capacité d’adaptation des ménages. DEMI-E a décidé de renforcer leur capacité en matière de réalisation de diagnostics environnementaux et de prises de décisions. L’ONG a soutenu les communautés dans leur option de mettre en place des systèmes de gouvernance participatifs : les villages ont désigné des délégués à parité hommes/femmes au niveau des villages, au sein des associations existantes – comité de gestion des points d’eau, associations de femmes, d’éleveurs, etc. Ils ont élu les membres des Comités locaux de l’Eau (dix membres et trois commissaires aux comptes par Comité) et validé le plan d’action du Bassin du Niger. Ils ont également organisé les assemblées générales des délégués du Bassin afin de débattre des thématiques de la GIRE. Ces assemblées ont regroupé jusqu’à 20 à 30 villages.
Par ailleurs, comme les femmes accèdent à la terre par le seul biais de la location, du prêt ou de l’héritage, les hommes détenant les terres, le rôle des femmes dans les instances de prise de décision, a été valorisé. C’est le cas notamment des comités de l’eau et de l’Agence du bassin qui favorise l’accès à la terre au niveau de la vallée. Ainsi des femmes ont pu faire entendre leur voix et insister sur l’aspect chronophage de la collecte de l’eau, tâche qui leur est traditionnellement allouée. De ce fait, des points d’eau ont été aménagés de façon stratégique dans les villages afin de libérer du temps pour les femmes et ainsi leur permettre de développer leurs propres cultures.
Saâ Halilou, âgée de 47 ans, femme au foyer du village de Kochimaoua, explique : « Il y a cinq ans nous avions un problème crucial d’eau dans notre village. Nous les femmes, nous sommes sorties à partir de Magrib [tombé du soleil] et nous ne sommes rentrées qu’au petit matin parfois sans avoir l’eau. Aujourd’hui nous avons une mini-AEP (5) qui dessert six villages dont le nôtre. Nous sommes très contentes car nous ne passons plus des nuits sur le puits. Ce gain de temps nous permet de nous occuper d’autres travaux domestiques et même de travailler nos lopins de terre pendant l’hivernage ».
Leçons retenues
Les villageois de la vallée de la Tarka au Niger ont montré que, face aux risques du changement climatique, ils savaient se mobiliser et revisiter leurs agendas traditionnels pour mieux faire face à la désertification, à la crise agricole et aux problèmes de sécurité alimentaire. Les stratégies d’adaptation au changement climatique qu’ils ont mis en place avec le soutien de l’ONG DEMI-E sont exemplaires.
Entièrement basées sur une logique participative, elles font le lien entre environnement, genre et durabilité.
En mettant en place des processus de consultation et des organes de décision paritaires hommes/femmes, ils ont ainsi pu enrayer la pénurie d’eau et développer les prémices d’une économie verte où les femmes occupent des positions-clés alors qu’elles ne bénéficient toujours pas du droit d’accès à la terre.
Ces mécanismes locaux mériteraient d’être répliqués à l’échelle nationale pour le moins, où les moyens en ressources humaines tant techniques que de genre manquent cruellement. Cette expérience laisse entièrement ouverte la question des relais entre local et national, et pourquoi pas local et global. Elle demande néanmoins à évaluer les impacts de genre qui dépassent le seul constat du gain de temps pour les femmes afin de mieux gérer leurs foyers pour viser une réelle autonomisation et un véritable changement pour l’ensemble de la communauté.
Joelle Palmieri, Genre en Action
Pour de plus amples informations, veuillez prendre contact avec : Yahaya Gouzaye, point focal suivi/évaluation de l’ONG DEMI-E au PABEG (programme d’Appui à la bonne gouvernance), ygouzaye@gmail.com.
Laisser un commentaire
Vous devez être connecté(e) pour rédiger un commentaire.