Georgina Aboud, BRIDGE
Foto: Norma Henriquez avec sa collection de graines (Fernando Salazar Ferrier)
Dans la région rurale de Santander en Colombie, le changement climatique envenime un ensemble de problèmes d’une plus large portée qui affectent ses habitant-es. La monoculture du café et de l’ananas, la déforestation, les infrastructures routières de mauvaise qualité, la pollution de l’eau, la corruption, l’exploitation minière et la menace de la privatisation nationale de l’eau : tous ces problèmes aggravent les effets de régimes climatiques de plus en plus erratiques, en particulier les changements liés aux niveaux et fréquences des précipitations. La réponse face à ces défis réside dans la tradition qu’ont les Colombien-nes de former des associations et des réseaux, notamment pour représenter des groupes marginalisés comme les femmes.
Les associations de femmes ont créé des alliances solides avec d’autres réseaux et organisations dont FUNDAEXPRESION (une organisation non gouvernementale qui soutient l’écologie agricole, la souveraineté alimentaire et l’égalité de genre), l’Ecole paysanne d’écologie agricole, le réseau communautaire des réserves forestières et les mouvements des peuples indigènes.
Leurs objectifs sont les suivants : partager des approches d’adaptation et de résilience au changement climatique et à d’autres problèmes associés, remettre en question la politique gouvernementale et promouvoir des modes de vie alternatifs.
Par-dessus tout, ces réseaux de soutien communautaires donnent à la population locale, et notamment aux femmes, un sentiment d’appartenance fort, d’autodétermination et de dignité afin de relever les défis en ces temps difficiles. Au travers des réseaux, le leadership des femmes et leur formation pratique ont motivé des femmes, jeunes et moins jeunes, à prendre la direction de la promotion de bonnes pratiques en matière d’adaptation et d’atténuation du changement climatique.
Comment des associations ont-elles aidé des femmes touchées par le changement climatique?
Chez l’agricultrice Martha Rios, des tremblements de terre mineurs, associés à de fortes précipitations sans précédent en décembre 2010, ont entraîné la destruction de sa ferme familiale et de sa propriété, ce qui a obligé son mari à émigrer pour travailler afin de subvenir aux besoins financiers de leur famille. Ainsi, elle s’est retrouvée seule pour élever ses quatre enfants et commencer les travaux de remise en état de sa terre et de son foyer.
Néanmoins, après ce désastre, Martha a immédiatement bénéficié du soutien mobilisé par Ammucale (Asociación Municipal de Mujeres Campesinas de Lebrija), le réseau communautaire des femmes d’agriculteurs dont elle était membre. Outre la promotion des moyens de subsistance et des droits des femmes, Ammucale alimente un réseau de protection sociale quand les temps sont durs.
Les membres d’Ammucale ont construit un grand abri pour Martha : il était équipé de lits, de parcs de jeux pour les enfants, doté d’un toit en tôle ondulée étanche à l’eau pour les protéger de la pluie.
Fundaexpresión a été contacté par Ammucale et a organisé une minga (une journée de travail communautaire) durant laquelle une fosse septique a été construite pour Martha. Depuis la catastrophe, Martha a également diversifié sa stratégie de subsistance : désormais, elle produit et vend du pain. Les membres d’Ammucale ont encouragé leurs communautés et d’autres organisations à acheter son pain et à soutenir Martha durant la traversée de cette passe difficile. Cette aide a permis à Martha de laisser ses enfants les plus âgés, un garçon et une fille, poursuivre leur scolarité.
Quand les femmes partagent les innovations
Après avoir fréquenté l’Ecole d’écologie agricole, Norma Henriquez a monté une petite ferme pour permettre à sa famille de subvenir à ses propres besoins alimentaires et en eau. Elle et son mari ont quitté la ville pour retourner à la campagne en tant que neo-campesinos. Venant de familles d’agriculteurs, ils souhaitaient poursuivre la tradition familiale et produire leurs propres aliments. Néanmoins, les changements des terres avoisinantes et des conditions météorologiques ont rendu l’agriculture plus difficile. Ils se sont aperçus que de nombreux agriculteurs voisins avaient vendu leurs terres à des entreprises agricoles (d’élevage de volailles et de porcs) ou produisaient des ananas sous forme de culture de rente, ce qui avait des effets nuisibles sur le sol et sur l’alimentation en eau, causant une désertification étendue. De plus, les précipitations dans la région étaient devenues très imprévisibles, avec des pluies diluviennes suivies de semaines de sècheresse.
Forte de sa fréquentation de l’école et du soutien reçu auprès de l’association de femmes de la région, Norma a acquis l’assurance et les compétences nécessaires pour construire un réservoir d’eau spécial d’une capacité de 85 mÇ qui parcourt désormais tout son toit. Il lui permet de maximiser la collecte de l’eau de pluie, si précieuse. Cette eau l’aide à alimenter ses diverses cultures : mangues, noix de coco, avocats, haricots, citrouilles et maïs, entre autres. Rien n’est gaspillé : l’eau qui est impropre à la consommation sert à laver les habits. Pour leur part, les feuilles, les déjections animales (des chèvres et des poulets) et les cendres du foyer sont transformées en compost, autant de techniques exclusivement apprises au court des échanges communautaires. Elle est également devenue une fière protectrice de la biodiversité agricole et s’assure que des échanges de graines ont lieu lors de chaque rencontre communautaire. Elle déclare: «Prendre soin de la terre est la tâche la plus importante qu’une femme puisse remplir sur cette planète. En effet, si nous ne nous engageons pas à prendre soin des graines, de l’eau et des sols, nos communautés souffriront et nous perdrons notre autonomie ainsi que la possibilité de nourrir nos propres familles.»
Leçons retenues
L’exemple des associations et réseaux de Santander montre qu’il est fondamental de former des alliances solides pour faire face aux impacts du changement climatique et aux inégalités de genre généralisées. En alliant soutien pratique dispensé aux femmes touchées, développement des compétences en leadership des jeunes femmes et facilitation de l’échange d’expériences et d’innovations de femmes sur l’adaptation au changement climatique, des réponses au changement climatique ont pu être apportées, répondant à des besoins spécifiques de la population locale selon des méthodes autonomisant les femmes.
Non seulement ces réponses ont concouru à amplifier les voix des femmes dans la prise de décision au sujet du changement climatique et des ressources locales, mais elles ont également amorcé un changement de normes de genre jusqu’alors tolérées.
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