« La reformulation de l’enjeu du climat autour de questions de dignité humaine n’est pas
seulement noble ou nécessaire. Il est fort probable qu’une telle approche soit plus efficace
que l’approche cadrée autour des vices humains, qui est un échec et continue d’échouer ».(Prins, Galiana et al. 2010: 5)
La nature même de la réponse mondiale actuelle au changement climatique, impérieusement centrée sur l’aspect scientifique, avec sa structure par le haut et une sous-représentation criante des femmes aux postes de décision, ne constitue pas vraiment un environnement propice à la transformation sociale. Alors que les institutions internationales ont défini le calendrier mondial en matière de politiques sur le changement climatique et créé un cadre centré sur la réduction des émissions à long terme pour l’avenir, c’est à l’échelle locale que l’on ressent déjà les impacts du changement climatique et que des réponses autonomes voient déjà le jour et doivent être reconnues et intégrées dans tout cadre mondial. Pour que les préoccupations de genre constituent une pièce maîtresse des processus internationaux, des liens beaucoup plus étoffés doivent donc être tissés entre les réalités locales et la politique mondiale et vice versa.
De nouvelles approches traitant ce manque de lien entre les impacts locaux et les politiques nationales et mondiales sont proposées. Par exemple, un groupe d‟universitaires appelle à la reformulation de l’enjeu du changement climatique autour de la question de dignité humaine, en suggérant une approche par le bas et holistique de l’atténuation centrée sur la « décarbonisation » de l’économie mondiale, en fournissant un accès à l’énergie propre pour tous et en développant la résilience aux bouleversements au niveau le plus local (Prins, Galiana et al. 2010). Selon cette approche, l’action doit être entreprise à de multiples niveaux, et les politiques relatives au changement climatique conçues et mises en œuvre au niveau le plus local possible « du bas vers le haut », qu’il s’agisse de l’échelle communautaire, locale, communale, régionale ou nationale.
Une approche par le bas « ne signifie pas que tout doit se faire à l’échelle de la communauté locale, mais que lorsque quelque chose peut être fait à l’échelle locale, communale ou régionale, il est alors très sensé d’y focaliser l’attention politique sans avoir besoin de s’inscrire dans une forme ou une autre de charte mondiale d’action » (Rayner 2010 : 6). De même, il est essentiel que les processus politiques et cadres nationaux et internationaux du changement climatique soient ouverts afin de devenir plus inclusifs et participatifs, donnant aux femmes et aux hommes gérant le changement climatique au quotidien une possibilité d’exprimer leur avis plus à égalité et reflétant leurs réalités.
Ce chapitre vise à fournir des propositions édifiantes en examinant des approches innovantes et sensibles au genre qui voient déjà le jour à l’échelle communautaire, nationale et régionale et qui prennent leurs racines dans les expériences du changement climatique vécues par des femmes et des hommes. Il expose des approches plus par le bas de l’adaptation comme de l’atténuation, qui pourraient être reproduites ailleurs ou servir de base au développement de politiques relatives au changement climatique plus sensibles au genre et centrées sur les populations aux niveaux mondial et national. Il se penche également sur des manières dont l’atténuation et l’adaptation peuvent fonctionner en synergie pour des résultats plus positifs en s’attaquant aux questions de la résilience et de l’accès aux énergies propres.
Ce chapitre commence par présenter des réponses adaptatives locales et nationales efficaces qui prennent en compte un ensemble de facteurs comme la culture, les normes sociales et les relations de genre, en se basant sur les préoccupations et les connaissances des femmes et des hommes. Il poursuit en examinant les leçons qui peuvent être retenues des approches d’atténuation qui tiennent compte des conditions et de la culture locale et qui autonomisent les femmes de diverses manières.
Des approches comme celles-ci pourraient s’appliquer dans un contexte national et mondial et constituer des alternatives possibles aux mécanismes fondés sur le marché. Enfin, il expose des principes et approches plus généraux pour des réponses plus pertinentes localement et sensibles au genre.
5.1. Des réponses adaptatives locales sensibles au genre
« Des approches adaptatives par le haut échoueront si elles ne sont pas liées aux priorités ressenties par les plus vulnérables au changement climatique »
(Robin Mearns, Banque mondiale).
Comme mentionné précédemment, alors que l’adaptation constitue un aspect de la politique relative au changement climatique dans laquelle une perspective de genre est parfois intégrée, elle met trop souvent l’accent sur la vulnérabilité des femmes, et les femmes y sont dépeintes comme des victimes ou des bénéficiaires. On n‟y prête une attention suffisante ni aux capacités des femmes, ni à leur action, ni au rôle fondamental qu’elles peuvent jouer en tant que leaders et porteuses d’innovations en termes d’adaptation à condition qu’on leur donne les ressources et que l’on développe les capacités dont elles ont besoin (Mitchell, Tanner et al. 2007). L’expérience des femmes en gestion de ressources naturelles, leur implication dans des activités sensibles au climat comme l’agriculture, la pêche et la sylviculture et les réseaux sociaux bien tissés dans lesquels elles peuvent s’engager font qu’elles détiennent souvent des connaissances, des compétences et des expériences qui sont indispensables au succès des programmes d’adaptation.
Au Malawi, par exemple, des travaux de recherche montrent comment de petites exploitantes dans différentes communautés ont déjà développé des stratégies pour surmonter les fortes pénuries alimentaires en utilisant des techniques de culture écologiques qui permettent de tirer parti des périodes de pluie changeantes pour produire une seconde récolte de maïs tout en remettant en cause des rôles de genre en optant pour des rôles générateurs de revenus, auparavant réservés aux hommes. Les femmes ont également joué un rôle-clé dans le reboisement, en renforçant la résilience communautaire au changement climatique et l’atténuation des émissions, comme cela a été le cas grâce au travail du mouvement Greenbelt au Kenya.48 Quoi qu’il en soit, l’enjeu reste le passage de ces activités à l’échelle supérieure et leur reconnaissance dans les politiques aux niveaux national et international (Rodenberg 2009). Le point suivant présente des innovations à l’échelle locale centrée sur l’adaptation, y compris celle menée par les communautés elles-mêmes et celles soumises à la médiation d’organisations locales et de réseaux.
5.1.1. Des approches participatives sensibles au genre
D’autres approches de l’adaptation au changement climatique ont tenté de venir à bout du stéréotype qui veut que les femmes soient considérées comme un groupe homogène de « victimes » du changement climatique. Elles tentent de considérer les questions d’inégalités de genre au sens plus large, en particulier les dynamiques de pouvoir sous-jacentes qui contribuent à la vulnérabilité des femmes et les empêchent de participer pleinement en tant qu’actrices du changement en s’attaquant au changement climatique (Terry 2009). Par exemple, une recherche participative menée par IDS/Action Aid a mis en avant les façons dont les femmes des régions pauvres s’adaptent déjà au climat changeant et peuvent clairement exprimer ce dont elles ont besoin pour sécuriser et assurer plus efficacement leurs moyens de subsistance (Mitchell, Tanner et al. 2007).
Des approches participatives centrées sur le genre ont été mises à exécution dans différents programmes novateurs qui font appel à des outils de recherche participatifs ou des méthodes innovantes, comme la formation des femmes à l’utilisation de caméras pour leur permettre de faire entendre leur voix (cf. l’exemple du Népal ci-dessous) et mettre en avant les principaux problèmes touchant leur communauté vers lesquels les politiques et l’aide devraient s’orienter (Mitchell et al. 2007 ; ONU-SIPC 2008). Les approches participatives reconnaissent qu’une plus grande expertise et des connaissances pertinentes sont détenues à l’échelle locale, et que l’élaboration de stratégies d’adaptation et d’atténuation appropriées, durables et efficaces passe par l’implication et l’engagement des parties prenantes locales dans la contribution à la définition du problème et dans l’élaboration de la solution (Akerkar 2010). Une telle reconnaissance a sensiblement fait défaut dans les politiques climatiques, en particulier dans les hautes sphères de négociations.
Néanmoins, il est important de garder à l’esprit que les démarches participatives ne sont pas intrinsèquement sensibles au genre et inclusives. Si elles ne sont pas conçues dans un souci de genre, elles peuvent exclure ou marginaliser les femmes en offrant la possibilité aux voix des hommes de dominer plus fortement ou en ne parvenant pas à prendre en compte le fardeau supplémentaire qu’elles peuvent mettre sur les épaules des femmes, dont le temps est déjà pleinement occupé.
Cependant, il existe certains exemples de projets qui ont impliqué les femmes et les hommes à l’échelle locale avec succès dans l’élaboration de stratégies d’adaptation locales. De tels exemples peuvent être reproduits à plus grande échelle, comme le montre l’exemple des Philippines ci-dessous.
L’engagement participatif aux Philippines Traditionnellement, ce sont les femmes qui ont joué le rôle de conservatrices des semences dans les fermes et la Coalition nationale des femmes en milieu rural a mis de côté seize hectares de production de riz biologique pour les aider à jouer ce rôle, ce qui a permis d’autonomiser les femmes en tant que conservatrices des semences en leur conférant un meilleur contrôle de la production alimentaire et en montrant comment la promotion de l’équité de genre et de la sécurité alimentaire peuvent aller de pair. Ôter la production de semence des mains des corporations commerciales pour la replacer entre les mains des agricultrices est un moyen d’améliorer la résilience et l’autosuffisance des communautés rurales. Alors que la Coalition nationale des femmes en milieu rural a établi le premier exemple pilote, on espère désormais que le soutien gouvernemental permettra de faire passer le projet à l’échelle supérieure pour une utilisation par d’autres agriculteurs et que les officiels de l’agriculture fourniront désormais une aide technique, politique et financière pour la mise en place et le maintien de plus nombreuses banques de semence communautaires. (Xinhua 2011) |
Il existe une idée reçue, selon laquelle les processus participatifs sont trop spécifiques localement et trop petits pour être utiles à la définition de politiques de plus grande portée. En fait, les technologies comme la vidéo, les smart phones et Internet rendent encore plus possible le lien entre ces initiatives locales et des processus politiques nationaux et internationaux en leur permettant d’être directement informés par les voix locales. Un projet d’Action Aid au Népal a identifié ce potentiel et a fourni aux femmes à la base les opportunités de s’adresser directement aux responsables politiques pouvant développer des plans d’adaptation nationaux. Cet exemple est très significatif étant donné le peu de travaux de recherche menés sur les dimensions de genre des programmes d’adaptation de grande portée à l’échelle nationale ou régionale, qu’ils soient liés aux infrastructures, aux technologies, aux changements dans l’utilisation de la terre ou aux problèmes plus vastes de changement comportemental.
Permettre aux femmes de faire porter leurs voix dans les débats sur le changement climatique au NépalLe projet d’Action Aid a mis en évidence le fait que, bien que les femmes disposent de connaissances et de compétences approfondies en adaptation face au changement climatique, elles ne participaient pas à la prise de décision sur le changement climatique et étaient souvent exclues et ignorées par les politiques. L’objectif du projet était de faire entendre les voix des femmes dans le débat en les autonomisant. A ce titre, leurs expériences et leurs craintes face au changement climatique ont été enregistrées sur vidéo et diffusées auprès des responsables politiques. Cette démarche les a autonomisées en faisant d’elles les militantes du changement. Tout en fournissant des preuves aux responsables politiques en faveur de politiques relatives au climat plus soucieuses des réalités locales, le projet a donné l‟opportunité aux femmes de réfléchir à leurs situations, de les articuler avec leurs craintes et d’identifier les actions susceptibles, selon elles, d’entraîner un changement positif de leurs conditions de vie. Comme l’a dit une des participantes, Muna Mukeri de Matehiya : « Si nous ne changeons pas nos comportements et nos pratiques, il est difficile de survivre dans ces conditions changeantes. Nous sommes en train d’adapter des systèmes semblables à ceux utilisés par les sociétés de montagnards nomades. Nous renforçons nos institutions sociales pour faire face aux inondations et aux sécheresses en nous soutenant les uns les autres, par exemple en fournissant de la nourriture et un abri à nos voisins touchés par l’inondation. »
(Mitchell, Tanner et al. 2007: 13) |
5.1.2. L’adaptation à base communautaire (ABC)
L’ABC est un moyen d’adaptation ascendant qui identifie et s’engage aux côtés des communautés les plus vulnérables au changement climatique, que ce soit en raison de la pauvreté, de la dépendance aux ressources naturelles ou de l’exposition aux bouleversements environnementaux, en leur permettant de développer leurs propres solutions pertinentes. La focalisation sur les réalités locales, signifie que l’ABC doit être en mesure de promouvoir des politiques sensibles au genre, qui reconnaissent les rôles différents que jouent les hommes et les femmes au sein de leur communauté, et de se baser sur des connaissances, des expériences et la participation locales (Huq et Reid 2007).
Bien qu’actuellement de nombreuses approches d’ABC n’intègrent pas systématiquement des dimensions de genre, des progrès ont tout de même été faits. Un nombre grandissant de projets d’ABC impliquent à la fois les femmes et les hommes dans la conception et la mise en œuvre de projets et font appel à leur participation et à leurs différentes capacités pour parvenir à des politiques durables et plus efficaces. Un exemple d’une telle approche concernant le Maroc est détaillé cidessous.
Une approche d’adaptation à base communautaire sensible au genre Dans le sud du Maroc, où la société traditionnelle est organisée autour de rôles clairement définis de genre et de classe, la plupart des hommes sont des agriculteurs chargés des tâches physiques et techniques ainsi que du commerce. Les femmes, elles, jouent un rôle important (non rémunéré) dans l’agriculture et la gestion des ressources naturelles. Les rôles et l’accès au marché étant ainsi attribués, les hommes ont tendance à avoir accès aux liquidités ou à immigrer pour travailler, alors que les femmes jouent un rôle plus actif au foyer et au sein de la communauté locale.
L’élaboration d’un programme sensible au genre pour un projet d’adaptation du FEM-PNUD a amené à consulter les femmes, notamment concernant leur expertise des plantes indigènes et leur expérience en gestion des ressources naturelles. Cela les a aidées à participer et à faire entendre leur voix dans les processus décisionnels au sein de la communauté afin de devenir des acteurs-clés dans les projets d’adaptation locaux. D’autres exemples de programmes d’ABC du PNUD ont montré que les femmes constituaient des partenaires indispensables lors de la mise en œuvre de projets d’adaptation, car elles apportaient des compétences particulières ayant trait au développement de l’assurance personnelle et à la gestion des personnes qui venaient en complément des compétences techniques des hommes. (Vincent, Wanjiru et al. 2010) |
5.1.3. Des approches consultatives en matière d’infrastructures et de technologies
« Les interventions technologiques […] vont au-delà des problèmes techniques. Elles restructurent les relations sociales et créent de nouveaux modèles de hiérarchie. Tous ces changements ont des implications profondes dans les relations de genre »
(Wong 2009: 96).
L’amélioration des infrastructures et des technologies constitue des interventions-clés dans la lutte contre le changement climatique en rendant les moyens de subsistance plus résilients face aux événements météorologiques toujours plus imprévisibles et extrêmes. Dans de nombreux cas, l’infrastructure est considérée comme neutre au genre, étant donné qu’elle sert aux hommes comme aux femmes et qu’elle ne nécessite aucune consultation des différents groupes ou des ajustements à leurs besoins. Toutefois, il a été prouvé que les hommes et les femmes présentent des besoins et une utilisation des infrastructures différents et qu’il est essentiel de tenir compte de ces utilisations différentes pour que les interventions soient efficaces et durables. Des exemples comme des routes, des ponts ou des systèmes d’irrigation, pour lesquels les femmes sont rarement consultées ou une analyse de genre lors de la conception rarement menée, présentent des différences de genre profondes quant à la façon dont les femmes et les hommes les utilisent ou en dépendent pour leurs moyens de subsistance. L’exemple ci-dessous montre l’importance de l’intégration d’une perspective de genre localement avisée dans les politiques au sujet des infrastructures.
Infrastructures et genre au Liberia Le Liberia, un des rares pays d’Afrique ayant une femme à la tête de l‟Etat, a mis une emphase particulière sur la promotion de l’égalité de genre dans les infrastructures. Sa Présidente Ellen Johnson-Sirleaf a mis en lumière les défis liés aux infrastructures auxquels font face les femmes, en particulier sur fond de changement climatique alors que la sécurité alimentaire est menacée et que les besoins en stockage de semences et de prévention du gaspillage de nourriture gagnent en importance : « Les femmes qui travaillent sur nos marchés passent beaucoup de temps à se déplacer dans de mauvaises conditions et dans des transports coûteux afin d’apporter leurs marchandises sur le marché pour alimenter la population. Le manque d’installations de stockage fait que les denrées périssables sont sujettes à dégradation, ce qui réduit d’autant la petite marge bénéficiaire qu’elles ont été en mesure de dégager. »
L’investissement dans de meilleurs réseaux de transport entre les zones rurales et urbaines ainsi que la construction de greniers à semences communautaires ont été essentiels au développement de la résilience des femmes en milieu rural et à la protection de leur potentiel de génération de revenus. Johnson-Sirleaf a également souligné les lourdes conséquences sociétales du manque d’infrastructures, dont fait partie l’augmentation des taux de contamination par le virus VIH/SIDA liée aux violences de genre, qui peut survenir dans des contextes de changement climatique où les filles sont retirées de l’école ou doivent parcourir de longues distances à pied pour trouver de l’eau ou du combustible. (Banque mondiale 2008) |
5.1.4. Formation à l’adaptation et développement des capacités intégrant le genre
Si une large part du financement de l’adaptation tend à être dédiée à des interventions très « visibles » comme les infrastructures, il existe des interventions tout aussi importantes, mais moins visibles, qui touchent à l’information, à l’éducation, au développement des capacités à l’échelle communautaire et à la participation aux programmes locaux. Ces interventions, qui ont souvent pour objectif un changement comportemental et donc plus susceptible de tenir compte des questions de genre, ont tendance à moins capter l’attention ou le financement des responsables politiques, qui préfèrent souvent des mesures scientifiques et technologiques qui sont plus tangibles et faciles à mesurer (Lambrou et Piana 2006b).
Le développement des capacités présente un immense potentiel de lutte contre les inégalités de genre s’il répond aux besoins et priorités des femmes. Il est essentiel que les capacités des femmes soient développées non seulement dans les domaines traditionnellement « féminins », comme celui de l’énergie domestique, mais également dans des compétences requises pour accéder à de meilleurs emplois, aux services financiers, à l’information, à la formation ou aux technologies. Ces programmes doivent être conçus en intégrant le genre, c‟est-à-dire en se basant sur les besoins et les priorités des femmes et des communautés locales. Non seulement cette démarche contribue à une plus grande égalité de genre, mais elle rend également les programmes plus efficaces et durables.
Au Honduras, par exemple, un programme de développement des capacités qui a donné aux femmes la responsabilité d’un système d’alerte précoce a permis à leur communauté d’être la seule à ne déplorer aucune victime causée par l’ouragan Mitch de 1998. L’exemple ci-dessous, qui nous vient du bassin du Mékong dans le Sud-est asiatique, montre comment le développement des capacités des femmes a permis une meilleure gestion des ressources, tout en présentant les autres avantages d’autonomiser les femmes, d’entraîner des changements sociaux transformateurs et de relever les défis du changement climatique.
Quand les femmes deviennent formatricesLe bassin du Mékong dans le Sud-est asiatique est une zone à forte densité de population qui est particulièrement vulnérable aux inondations plus nombreuses ainsi qu’aux sécheresses et aux pénuries en eau au vu de l’aggravation du changement climatique. Traditionnellement, les femmes ont été exclues des questions de gestion des bassins hydrologiques, une gestion qui n’est pas parvenue à tenir compte des problèmes de durabilité des moyens de subsistance et d’égalité. L’agence bilatérale allemande GIZ a mis en œuvre un projet pour aborder ce problème en impliquant systématiquement les femmes en qualité de formatrices, de participantes et de groupes cibles dans la gestion des bassins hydrologiques. Elle a alors constaté que l’utilisation d’un système de quotas pour assurer l’implication des femmes dans les comités de gestion des bassins hydrologiques a entraîné une amélioration significative de la qualité du travail des comités, ainsi que de la prise de responsabilité de la population locale, augmentant ainsi la probabilité de la mise en application durable d’approches respectueuses des ressources pour la société dans son ensemble.
(GIZ 2011) |
5.2. Des approches d’atténuation alternatives localement pertinentes
Ce n’est qu’en se penchant sur les causes sous-jacentes de l’inégalité de genre et du manque d’autonomisation économique des femmes que des stratégies de développement à faible intensité de carbone peuvent devenir efficaces pour les hommes et les femmes (Karlsson, Owren et al. 2010). Cidessous, nous envisageons quatre principales stratégies d’atténuation du changement climatique qui reposent sur des connaissances locales et sont sensibles au genre, deux moyens rendant plus efficace la réduction des émissions et permettant la transformation sociale et de genre en autonomisant et en impliquant les femmes. Ces quatre stratégies sont les suivantes : abandonner les combustibles fossiles pour une transition vers les énergies renouvelables (point 5.2.1), adopter des pratiques agricoles plus durables (5.2.2), réduire les taux de déforestation (5.2.3) et transformer les modes de consommation, y compris ceux liés au transport, en particulier dans les pays industrialisés (5.2.4). (Terry 2009).
5.2.1. Rendre la consommation énergétique plus durable
Des politiques efficaces et équitables en matière de consommation énergétique requièrent la prise en compte des questions suivantes : qui consomme l’énergie ? Et de quelle manière est-elle consommée ? Une approche pertinente localement de la politique énergétique tiendrait compte des différences entre hommes et femmes en termes d’accès à l’énergie et de consommation énergétique.
L’adoption d’une telle approche pourrait transformer les relations de genre tout en réduisant les émissions de GES en fournissant aux femmes un meilleur accès à l’énergie propre de sorte qu’elles aient non seulement plus de temps à disposition et plus de pouvoir pour améliorer leurs moyens de subsistance (Karlsson et al. 2010).
Il existe déjà des exemples de ce type d’approches dans le contexte de programmes innovants liés à l’énergie électrique solaire au Bangladesh et aux fours à biogaz au Népal (voir exemple ci-dessous).
Ils illustrent comment des programmes énergétiques peuvent s’attaquer simultanément à l’atténuation et à l’adaptation et comment les femmes ont été impliquées, non seulement en tant que bénéficiaires, mais également en tant qu’actrices jouant un rôle significatif dans le développement de nouvelles solutions. Dans l’exemple ci-dessous, une approche socialement transformatrice de la politique énergétique a été adoptée par Grameen Shakti en formant des femmes dans des domaines traditionnellement sous domination masculine, comme la production d’énergie. Une telle approche aide à remettre en cause les stéréotypes de genre et à répondre aux besoins pratiques des femmes en termes d’accès à l’énergie. Elles satisfont également leurs besoins stratégiques en termes d’autonomisation sociale et économique.
Faire des femmes les vecteurs de changement dans la production d’énergie renouvelable Grameen Shakti est une ONG basée au Bangladesh qui aborde le rôle des femmes dans la production d’énergie renouvelable au travers de l’énergie solaire, en les formant et en les employant en tant qu’ingénieures chargées de l’installation de systèmes photovoltaïques dans leurs communautés locales. Alors que ces projets présentent une échelle plutôt petite et locale, l’organisation a réussi à réunir suffisamment de petits projets pour les « regrouper » et accéder au financement du MDP. Grameen Shakti a désormais fondé 45 centres de formation technique gérés exclusivement par des ingénieures, qui sont spécialisées dans la formation de femmes en milieu rural pour qu’elles acquièrent des compétences techniques et qu‟elles deviennent financièrement indépendantes. Elles sont formées à la maintenance, la réparation et l’assemblage de composants électroniques formant les panneaux solaires, de sorte qu’elles bénéficient des nouvelles opportunités économiques qu’offrent les énergies renouvelables et les stratégies de développement à faible intensité de carbone au Bangladesh.
(Kamal 2010)51 |
5.2.2. Changements des pratiques agricoles
« Dans les pays à faibles revenus, les femmes jouent un rôle-clé dans l’agriculture. De même, l’agriculture y constitue un moyen de subsistance fondamental des femmes. L’autonomisation délibérée des femmes et la focalisation sur leurs défis propres apporteront de bien meilleurs résultats en termes de lutte contre la pauvreté et de promotion de la productivité ».
(GO-Science 2011: 26)
L’agriculture a des effets significatifs sur les émissions de gaz carbonique au travers de la production et de l’émission de différents GES ainsi qu’en altérant la couverture terrestre et la capacité de la Terre à absorber ou réfléchir la chaleur et la lumière. Ainsi, le changement des pratiques agricoles constitue un élément fondamental de la réduction des émissions. Pourtant, trop souvent, le rôle des femmes dans l’agriculture et leur immense potentiel en termes de changement des pratiques agricoles sont ignorés, et il en va de même pour de nombreuses initiatives locales. C’est pourquoi une démarche alternative innovante de changement des pratiques agricoles doit reconnaître l’engagement des femmes dans des activités agricoles à petite échelle et se pencher sur leur manque de représentation ou de pouvoir d’expression les empêchant d’influer sur les politiques ou pratiques agricoles nationales (GO-Science 2011).
Un exemple d’une initiative menée par le CAC en Inde qui encourage les femmes à revenir à des pratiques agricoles plus durables pour l’environnement est présenté ci-dessous.
Des femmes dirigent des démarches adaptatives dans l’agriculture indienneEn 2000, le gouvernement de l’Uttarakhand en Inde a encouragé les villages à changer leur approche en termes de moyens de subsistance pour passer de cultures traditionnelles favorisant l’autosuffisance à la focalisation sur quelques cultures de rente sélectionnées, dont la pomme de terre, le chou-fleur et les pois. Les programmes gouvernementaux, cependant, n’ont pas consulté les femmes bien qu’elles soient les principales agricultrices de la région. Le CAC, une petite ONG locale, a tenté de fournir des informations relatives à l’agriculture et à améliorer les relations de genre. Elle a mis sur pied une ferme expérimentale afin de tester les différentes méthodes agricoles et d’informer les agriculteurs des résultats de l’essai. Il en est ressorti que les cultures traditionnelles étaient plus résistantes que les cultures de rente au climat imprévisible et extrême et fournissaient également aux agriculteurs des moyens de subsistance plus variés. Le CAC a également mené des programmes d’autonomisation des femmes, de sorte qu’elles ont gagné en assurance pour s’adresser à leur famille et pour prendre des décisions portant sur leurs moyens de subsistance.
(Informations issues de processus participatifs menés par BRIDGE en collaboration avec le CAC en 2011) |
Il est également essentiel de s’assurer que les femmes accèdent à égalité aux technologies agricoles respectueuses du climat et soient impliquées dans leur conception et leur mise en œuvre. L’exemple ci-dessous décrit une telle approche au Brésil.
Des technologies agricoles sensibles au genre au Brésil Le programme Pintadas Solar au Brésil52 a été mis en place par un groupe de partenaires, dont une ONG nationale de femmes baptisée Redeh, dans l’État de Bahia au nord-est du Brésil pour faire face aux sécheresses prolongées dues au changement climatique. Le projet, qui reposait sur le partage d’expériences et l’apprentissage réciproque entre agriculteurs, faisait la promotion de l’utilisation de technologies durables liées à l’irrigation et à l’agriculture ainsi que de la sécurité alimentaire et de la génération de revenus. Il adoptait une perspective de genre claire en assurant l’égalité d’accès des femmes aux nouvelles technologies et au crédit et améliorait la cohésion au sein de la communauté, ce qui a permis d’augmenter les récoltes, le taux d’emploi et les compétences techniques. En travaillant avec les unités familiales, il a aussi abordé les relations de genre en s’assurant que les hommes et les femmes travaillaient ensemble en tant que partenaires égaux pour atteindre les objectifs du projet et que les femmes étaient autonomisées en tant que « détentrices de savoirs » plutôt que de rester de simples bénéficiaires et pouvaient contribuer activement au développement de méthodes de production agricoles alternatives.
(ONU-SIPC 2008) |
5.2.3. Des approches de réduction de la déforestation du bas vers le haut
La question de la déforestation doit également être considérée sous un angle de genre, étant données les disparités dans la façon dont les moyens de subsistance des femmes et des hommes dépendent des forêts. Ainsi, des approches de substitution sont requises pour tenir compte des identités de genre, reconnaître les disparités dans la façon dont les hommes et les femmes font appel aux ressources forestières dans différents contextes et s’assurer que les hommes comme les femmes sont impliqués à égalité, bien que de différentes façons, dans la gestion forestière durable. La gestion forestière durable dont la Coalition mondiale des forêts (CMF) fait la promotion est un exemple intéressant. Fondée en 2005, elle soutient et coordonne des campagnes en faveur de politiques forestières socialement justes et efficaces ainsi que des droits des indigènes et des autres populations de la forêt.
La Coalition mondiale des forêts remet en cause les politiques forestières fondées sur le marché La CMF place un visage humain sur le travail de conservation à travers le monde, en dirigeant l’attention sur les droits des populations qui dépendent des forêts en termes de moyens de subsistance, en particulier des femmes. Les forêts fournissent aux femmes leur combustible, leur eau et leurs denrées alimentaires, mais également leurs traitements médicaux traditionnels.
La CMF soutient pleinement la réduction de la déforestation, mais d’une manière qui implique les communautés et un point de vue féminin de « soin » de la forêt parce que cela est considéré comme bon pour la communauté, pour la famille, pour tout, plutôt qu’un regard masculin technique qui prétend : « J’ai le droit de tout raser et si vous ne voulez pas que je le fasse, vous devez me payer ». Lorsque cette approche est menée à l’échelle nationale et que le pays dans son ensemble pense qu’il a le droit de couper les forêts si chacun ne reçoit pas un paiement, le concept de soins est totalement perdu. Nous souhaiterions voir émerger des politiques publiques ayant une volonté politique de sauvegarder la forêt qui repose sur la connaissance et la capacité à prendre soin d’elle qu’ont les communautés et qui renforce leurs initiatives de conservation de leurs forêts. Nous appelons cela « prendre soin de mère Nature ». La nature est votre mère, ce n’est pas un concept monétaire. Comment pouvez-vous payer votre mère pour qu’elle prenne soin de vous ? (Entretien personnel avec Simone Lovera, directrice exécutive, CMF lors de la 2e table ronde Bridge sur le genre et le changement climatique, Cancún, décembre 2010) |
Dans les cas où l’engagement des femmes a été activement promu, les avantages ont été manifestes, non seulement pour l’environnement, mais également en termes de statut social et économique des femmes. Les interventions sensibles au genre liées à la conservation forestière peuvent renforcer la capacité d’adaptation des femmes en leur fournissant la formation et le développement des capacités qui non seulement stimulent leur potentiel de génération de revenus, mais présente également des avantages environnementaux à long terme. L’exemple ci-dessous expose une initiative menée au Nicaragua pour autonomiser les femmes de manière à contribuer à l’atténuation.
Tirer parti des compétences des femmes pour soutenir le reboisement et l’atténuationEn Amérique centrale, des femmes ont collaboré à des projets locaux gérés par l’Equilibrium Fund au Guatemala, au Nicaragua, au Salvador, au Mexique et au Honduras afin d’exploiter leurs connaissances de la conservation forestière pour la canaliser dans des programmes pouvant être soutenus dans le cadre des efforts d’atténuation dans leur pays. En assurant la formation et le développement des capacités de plus de 10 000 femmes dans le traitement et la commercialisation de la noix-pain, ce programme a soutenu la plantation de plus de 800 000 noyers.
Non seulement ils fournissent une source d’alimentation et un moyen de gagner des revenus durables issus de la récolte des noix, mais ils prodiguent également des avantages environnementaux sur le long terme en incitant les femmes à protéger la forêt vierge et à planter plus d’arbres pour les futures récoltes. (citation extraite de Schalatek 2009) |
D‟autres interventions sensibles au genre liées à la lutte contre la déforestation démontrent le lien entre autonomie économique, playdoyer politique et lutte contre les violences de genre. L‟AFEBAF, une ONG basée en République démocratique du Congo, en menant de front campagnes d‟information, sessions de formation et création de pépinières, prouve que les réelles expertes de la lutte contre le changement climatique sont les femmes de la communautée.
RDC : les femmes, réelles expertes du changement climatiqueDans la région du Bas Fleuve, en République démocratique du Congo, l‟association Action femmes du Bas Fleuve (AFEBAF) organise des sessions d‟autonomisation sur l‟apprentissage des techniques de transformation des produits agricoles. Au cours de ces sessions, des femmes échangent sur les violences auxquelles elles sont confrontées au quotidien. Elles font ainsi le lien entre préservation de l‟environnement (sphère publique) et sécurité personnelle (sphère privée). Elles ont par ailleurs décidé de créer des pépinières où elles cultivent certaines espèces d‟arbres et de plantes à fortes valeurs nutritives et médicinales.
En outre, l‟AFEBAF mène une politique de plaidoyer politique en direction des décideurs nationaux pour qu‟ils votent des textes de lois, mènent des évaluations environnementales nationales conjointement avec les professionnels du secteur privé et participent à des campagnes internationales de lutte contre la déforestation, l‟application des accords internationaux tardant à voir le jour. Enfin, l‟AFEBAF mène des campagnes d‟information à la fois auprès des populations locales afin de les informer de l‟état d‟avancement des décisions prises en matière d‟adaptation et d‟atténuation au changement climatique au niveau national mais aussi en direction des autorités nationales sur les actions menées par les femmes du Bas Fleuve sur la déforestation. (Informations obtenues par des entretiens menés par BRIDGE en collaboration avec l‟AFEBAF, RDC, 2011) |
5.3. D’autres principes et approches utiles
Ce point présente d’autres « bonnes pratiques » plus générales à appliquer dans les programmes, politiques et les actions de plaidoyer contre le changement climatique.
5.3.1. S’assurer que la surveillance et l’évaluation intègrent le genre
Si l’intégration du genre est essentielle dans la conception et la mise en œuvre de politiques, elle l’est tout autant dans les techniques de surveillance et d’évaluation, qui doivent également intégrer le genre. Les audits de genre représentent un moyen d’y parvenir, tout comme l’utilisation de méthodes à base communautaire pour la surveillance de l’impact des différentes interventions. L’exemple du Mali ci-dessous montre comment l’implication des communautés locales dans les processus de surveillance peut mettre en lumière des questions de genre fondamentales qui ont pu être ignorées lors de la conception de la politique.
Surveillance des impacts du changement climatique à l’échelle locale Une étude de cas du Mali montre comment un outil d‟identification des risques au niveau communautaire (CRiSTAL) peut être utilisé pour mesurer la vulnérabilité locale et pour contrôler les stratégies inscrites dans la durée permettant de faire face aux dangers liés au climat. Elle fournit un processus facile à mettre en œuvre pour comprendre les liens entre les risques liés au climat, les moyens de subsistance des populations et les interventions d’adaptation possibles. Dans le cas du Sahel malien, l’outil CRiSTAL a mis en évidence que bien que les communautés rurales ont développé des stratégies leur permettant de faire face aux événements climatiques extrêmes comme les sécheresses, aucune stratégie n’a encore été développée pour faire face aux risques accrus de précipitations importantes qui sont à prévoir si l’on en croit les prévisions en matière de changement climatique.
Cet outil a également fourni une analyse de la vulnérabilité intégrant le genre pour différentes tranches de la population et a mis en lumière des stratégies d’adaptation spécifiques de femmes. Ainsi, il identifie clairement comment les mesures spécifiques de genre devront être intégrées dans les projets. Il a montré qu’il existait clairement une division de genre dans la gestion des activités liées aux moyens de subsistance, les femmes portant les responsabilités de certaines tâches agricoles et domestiques. Il a également mis en exergue la réalité selon laquelle les femmes étaient exclues de la propriété foncière et donc, n’avaient aucun droit quant à la gestion des ressources naturelles, bien qu’elles formaient la majorité de la main d’œuvre agricole. Le pouvoir détenu par les propriétaires fonciers masculins sur les ressources naturelles faisait que les groupes les plus pauvres, en particulier les femmes, étaient doublement exclus : de la terre et de ses ressources. Ainsi, ils souffraient d’une plus grande vulnérabilité face aux événements liés au climat. L’utilisation de cette analyse a permis de mettre au jour comment une plus grande égalité en termes de droits de propriété foncière entre les hommes et les femmes pourrait réduire l’exposition aux risques climatiques, étant donné que l’inégalité de genre a des impacts négatifs sur la vulnérabilité globale des ménages. (ONU-SIPC 2008) |
5.3.2. Développer le leadership local des femmes
« J’ai apporté un sens des responsabilités dont ne disposaient pas les hommes qui géraient la forêt auparavant et j’ai souhaité que tout le monde prenne des responsabilités dans la protection de la forêt. Mon leadership ne consiste pas seulement à faire appliquer des règles, mais à changer, au travers de l’éducation et de la compréhension, la perception que les gens ont de la forêt, pour qu’ils la considèrent comme une ressource importante ».
(Parvati, directrice de la Panchayat forestière, Nainital, Inde)
Les approches du bas vers le haut peuvent engendrer des politiques agricoles plus efficaces par d’autres moyens : le développement des capacités à l’échelle locale et la prise de mesures améliorant le statut des femmes, par exemple en déterminant des quotas de représentation dans les organes de prise de décision ou en assurant une formation au leadership. Ci-dessous, deux exemples d’organisations promouvant la participation des femmes dans la gestion de l’agriculture et des ressources nationales à l’échelle communautaire et institutionnelle sont retracés.
Développement de la participation des femmes via le changement des institutions et le développement des capacitésWomen Organising for Change in Agriculture and Natural Resource Management (WOCAN) est un réseau mondial de professionnels et d‟agriculteurs issus de 83 pays, dédié au développement de l’accès et du contrôle des femmes sur les ressources, qui s’attaque aux défis de l’intégration du genre dans les politiques agricoles. Il n’opère pas seulement à l’échelle communautaire, mais s’est également donné pour mission de changer les institutions afin de lever les barrières qui empêchent les femmes de participer à égalité en assurant des cours sur le leadership féminin s’adressant aux femmes comme aux hommes, en sensibilisant les hommes sur les règles de domination et les systèmes de pouvoir qui excluent les femmes et en autonomisant les hommes pour qu’ils se fassent eux aussi les défenseurs de l’égalité de genre. Il travaille également à rendre les politiques, programmes et institutions nationaux plus attentifs aux besoins et au potentiel des femmes en milieu rural aide, ainsi qu‟à intégrer de façon plus effective des femmes dans la conception, la mise en œuvre et la surveillance des politiques.
(WOCAN) |
Promotion du leadership au travers d’approches participatives en IndeDans le district de Nainital en Inde, le CAC a animé des ateliers mixtes ainsi que des ateliers réservés aux hommes ou aux femmes pour aider les communautés à s’interroger sur des problèmes immédiats et à trouver des solutions. Lors de l’un des ateliers réservés aux femmes, les participantes effectuaient un classement et un exercice de matrice de notation concernant les forêts et ont pris conscience qu’alors que les femmes étaient pleinement responsables de prendre soin des forêts, elles n’avaient aucun pouvoir décisionnel. Ce simple exercice a motivé des femmes à trouver des moyens d‟obtenir un plus grand contrôle, ce qui a amené une participante à parvenir à prendre la tête de la Panchayat forestière. Du fait de l’élection de cette femme à la tête de la Panchayat, plus de femmes jouent désormais un rôle actif dans les réunions forestières locales et demandent des comptes aux responsables des décisions.
(Informations obtenues par des processus participatifs menés par BRIDGE en collaboration avec le CAC, 2011) |
5.3.3. Reconnaître le potentiel des réseaux locaux dans l’élaboration de réponses locales efficaces
Les réseaux locaux peuvent constituer des moyens puissants d’organisation des femmes et des hommes en vue de développer des réponses plus efficaces et durables au changement climatique.
Les réseaux peuvent jouer un rôle dans la collecte et le partage des informations liées au climat ainsi que dans l’organisation et la coordination des réponses. L’exemple colombien suivant illustre le rôleclé que les réseaux locaux peuvent jouer suite à des événements météorologiques extrêmes ainsi que dans l’assistance aux communautés avec pour objet le renforcement de leur résilience face au changement climatique.
Le rôle des réseaux en matière de réponses sensibles au genre face au changement climatique en ColombieA Santander, en Colombie, les organisations agricoles de femmes et les réseaux associés représentent un mécanisme fondamental de l’aide aux communautés pour faire face au changement climatique et aux défis environnementaux, comme des précipitations imprévisibles entraînant des inondations, des glissements de terrain et la déforestation. Les associations de femmes, FUNDAEXPRESIÓN, Collectivas Reservas et l’École d’écologie agricole facilitent la formation à des modes de vie alternatifs, y compris l’agrosylviculture et l’agriculture biologique.
Après de fortes pluies en décembre 2010, les organisations ont collaboré pour construire des abris pour les femmes en détresse et leurs familles après que leurs maris aient immigré pour trouver du travail. Les associations ont également organisé une minga (journée communautaire) consacrée à la construction d’installations sanitaires sûres et respectueuses de l’environnement. Elles ont aidé les femmes dans leurs stratégies de diversification de leurs moyens de subsistance et les ont conseillées quant au lieu et à la période à laquelle leur nouvelle habitation devait être construite pour réduire la probabilité d’une destruction ultérieure, en cas de nouvelles pluies. À l’échelle nationale, ces 88 organisations ont travaillé avec des syndicats pour remettre en cause les politiques du gouvernement sur la privatisation de l’eau. (Informations obtenues par des processus participatifs menés par BRIDGE en collaboration avec FUNDAEXPRESIÓN, Colombie, 2011) |
5.3.4. Faire le lien entre militantisme mondial et réalités locales
La recherche a mis en évidence l’importance du militantisme, en particulier dans les pays en développement où le renforcement de la possibilité des femmes à exprimer leur avis politique représente une étape-clé dans la création de conditions propices à l’adaptation durable et efficace (Rivero Reyes 2002). Un vaste ensemble d’OSC et de groupes militants existe déjà et fait la promotion de la sensibilisation et de la participation aux questions de genre et changement climatique.
Ces organisations vont de la petite échelle jusqu’aux groupes militants internationaux de haut niveau.
Le défi consiste à faire passer à l’échelle supérieure les initiatives de militantisme ayant connu un succès local et qui ont impliqué des femmes à des postes décisionnels clés et dans la mise en œuvre de projets liés au climat ainsi que de promouvoir la responsabilisation des gouvernements, des institutions mondiales et des acteurs non gouvernementaux concernant leurs accords mondiaux sur l’égalité de genre. Le pouvoir de la mise en relation des groupes locaux avec des initiatives régionales et mondiales est de plus en plus reconnu comme moyen d’assurer que les voix, les besoins et les conditions au niveau local soient représentés à l’échelle internationale et que les politiques mondiales sont efficacement communiquées à petite échelle. Ci-dessous figurent deux exemples d’alliances mondiales-locales qui ont été couronnées de succès dans leur influence sur les politiques relatives au changement climatique et dans le développement de capacités d’OSC à agir comme lobby en faveur de la justice de genre dans les interventions liées au changement climatique.
Global Gender and Climate Alliance (GGCA), l‟alliance mondiale sur le genre et le climat, a été fondée en 2007 et rassemble plus de 30 agences de l’ONU et des OSC pour s’assurer que les prises de décision, politiques et programmes sur le changement climatique à tous les niveaux intègrent le genre. Ses activités sont l’information, les plaidoyers, les formations et le développement des capacités.GenderCC (Women for Climate Justice) a été fondée en 2008 sous forme de réseau mondial de femmes, de militantes pour le genre et d’experts des quatre coins du globe travaillant à l’intégration de la justice de genre dans la politique relative au changement climatique aux échelles locale, nationale et internationale. L’association opère par le biais d’antennes basées en Asie, en Afrique, dans le Pacifique, en Amérique latine et en Amérique du Nord. GenderCC constitue également le point focal du groupe Women and Gender Constituency, une organisation enregistrée comme observatrice de la CCNUCC |
5.4. Des moyens d’aller de l’avant
Ce chapitre a illustré des solutions potentielles en matière de changement climatique permettant de prendre en compte les réalités locales de manières inclusives et, dans de nombreux cas, transformatrices dans leurs efforts d’autonomisation des femmes et de remise en cause des perceptions des rôles de genre. Ces initiatives ne doivent pas simplement servir à informer les politiques ; elles peuvent servir de base de réflexion pour de nouvelles approches politiques à la fois plus efficaces et contribuant à l’égalité de genre. Pourtant, il y a toujours un manque criant de ressources à disposition de telles initiatives, malgré l’existence d’un grand nombre de fonds dédiés à l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
Il est fondamental d’assurer que ces financements sont flexibles et accessibles aux ONG, groupes communautaires et réseaux locaux. Cela implique qu’il faut modifier les fonds existants, simplifier les processus de demande, rendre de plus petites sommes d’argent disponibles de sorte qu’elles puissent être utilisées par des organisations locales et assurer une communication efficace au sujet des fonds.
Cela implique également le développement de nouvelles sources de financement du climat, à l’instar du Fonds vert pour le climat, qui sont conçues avec les communautés locales à l’esprit, plutôt qu’en donnant la priorité aux grandes entreprises. L’investissement dans des stratégies à la base existantes et possibles est un moyen clair d’assurer que des réponses appropriées et sensibles au genre sont mises en place et présentent une portée qui évolue en fonction des conditions changeantes. Le financement doit également être à la disposition des organisations internationales et nationales qui travaillent avec ces communautés afin de sensibiliser au changement climatique et de les aider à élaborer des solutions pertinentes ainsi qu’à s’exprimer dans le théâtre mondial du changement climatique.
Des leçons peuvent également être tirées à petite échelle. L’utilisation de méthodes participatives ou l’implication de populations de manière consultative ne résultent pas toujours en des processus inclusifs. Même lorsque les femmes sont impliquées en nombre égal, elles peuvent ne pas avoir l’assurance leur permettant de prendre librement la parole ou leur opinion peut ne pas être prise en compte. Il est donc impératif d’apporter une attention particulière à la conception d’initiatives participatives et de les surveiller régulièrement pour identifier des domaines potentiellement préoccupants et s’assurer qu’ils n’accentuent pas irrémédiablement les inégalités de genre.
Résumé
Ce chapitre s’est concentré sur les stratégies innovantes à l’échelle locale qui répondent au changement climatique dans différents pays, qu’il s’agisse d’en atténuer les effets ou de s’y adapter. Il appelle à une approche du bas vers le haut plus affirmée tenant compte des besoins, connaissances, compréhensions et compétences locaux liés à l’adaptation au changement climatique et à son atténuation. Il expose le rôle que jouent les femmes dans la réalisation de ces processus ainsi que la capacité de telles initiatives à autonomiser les femmes et à contribuer à transformer les perceptions qu‟ont les femmes et les communautés des rôles et des capacités de genre. Tout en constituant une source d’inspiration pour ceux qui travaillent sur le thème du changement climatique à l’échelle locale, ce chapitre met en exergue la nécessité d’une bien plus grande cohérence entre ces réponses à la base et les politiques mondiales en vue de processus efficaces et sensibles au genre qui contribuent à l’égalité.
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