« Le changement climatique est l’une des menaces les plus complexes, à multiples facettes et sérieuses auxquelles le monde fait face. La réponse à cette menace est fondamentalement associée aux préoccupations pressantes du développement durable, de l’équité mondiale, de l’économie, de la réduction de la pauvreté et de la société, et du monde que nous voulons transmettre à nos enfants. »
(Ban Ki-Moon 2007 : 1)
Ce chapitre vise à présenter une nouvelle approche de notre compréhension du changement climatique en examinant les impacts humains du changement climatique à travers des « lunettes » de genre. Il repose sur des travaux de recherche existants, des études de cas et des preuves qui montrent la face humaine du changement climatique et ses impacts sur les relations et les inégalités de genre.
Bien que d’importantes ressources et un temps considérable aient été consacrés à l’examen des impacts environnementaux et économiques du changement climatique, moins d’efforts ont été investis dans l’identification et le traitement des dimensions sociales et humaines du problème. Alors que la sensibilité aux questions et préoccupations de genre grandit et que la société civile et les organisations internationales travaillant sur les questions de genre ont uni leurs forces, les preuves ne font que se multiplier quant aux impacts humains et de genre de la dégradation environnementale et des catastrophes naturelles sur des secteurs « sensibles au climat » comme la sécurité alimentaire, l’agriculture, l’eau, l’énergie et la sylviculture et quant aux implications plus larges du changement climatique pour les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation (Otzelberger 2011). On trouve également des preuves plus nombreuses des implications du changement climatique dans la réalisation des OMD, le changement climatique ayant des impacts différenciés sur les hommes et les femmes ainsi que sur les garçons et les filles affectant tous les OMD, y compris la sécurité alimentaire, l’éducation des filles, l’accès des femmes et filles aux services de santé, l’autonomisation économique et les problèmes généraux de l’égalité de genre (PNUD 2007, PNUD 2009).
Quoi qu’il en soit, malgré cette reconnaissance des impacts disproportionnés du changement climatique sur les groupes les plus pauvres et les plus vulnérables de la société, il n’existe, à ce jour, que des informations minimes sur les impacts spécifiques du changement climatique sur les hommes et les femmes et les relations et dynamiques de pouvoir inégales qu’ils renferment. Lorsque des travaux de recherche spécifiques sur le genre ont été menés, ils ont tendance à souligner la vulnérabilité des femmes face au changement climatique en termes d’impacts des sécheresses, inondations, vagues de chaleur et pénuries d’énergie sur les moyens de subsistance des femmes dans les pays en développement. Mais une moindre attention a été portée aux contextes sociaux, économiques et culturels, qui sont à la base de cette vulnérabilité, et au renforcement ou à l‟instauration de relations inégales de genre causées par le changement climatique. Il est crucial de disposer de ces informations plus contextuelles pour le développement d’interventions plus efficaces en réponse aux réalités du terrain et aux besoins différents des femmes et des hommes dans les situations réelles.
Dans de nombreux cas, il n’est pas nécessaire de tout reprendre depuis le début en « réinventant la roue ». En fait, il existe déjà des preuves conséquentes qui révèlent les dimensions de genre de l’accès aux ressources comme la terre, l’eau, les services basiques et la connaissance et qui peuvent servir de fondement à une recherche plus approfondie sur les impacts de genre du changement climatique.
3.1. Les pénuries de ressources induites par le changement climatique
L’un des impacts les plus délicats du changement climatique sur les populations humaines est la contrainte que les nouvelles conditions environnementales font peser sur la disponibilité des ressources naturelles. Bien que l’incertitude soit encore trop importante pour pouvoir prédire les effets de causalité exacts du changement climatique, il est déjà manifeste que les sources d’eau, d’énergie et de nourriture deviennent plus rares au fur et à mesure que la variabilité du climat s’accentue (Simms et al. 2005, Simms et Reid 2006 et Reid et al. 2007). Cela aura de graves répercussions sur les femmes et les relations de genre. L’augmentation pratique de la charge de travail que connaissent de nombreuses femmes pourrait également faire en sorte qu’elles disposent de moins de temps pour prendre part aux activités décisionnelles, génératrices de revenus ou communautaires (Terry 2009).
3.1.1. La production alimentaire
« Des progrès ont été faits en termes de changement climatique. Mais un autre problème majeur se profile à l’horizon. Il est difficile d’envisager un monde produisant suffisamment de cultures pour produire des énergies renouvelables et de répondre simultanément à l’immense demande en denrées alimentaires qui va certainement voir le jour avec la réduction de la pauvreté. »
(John Beddington, Conseiller scientifique en chef du gouvernement du Royaume-Uni)
L’une des principales préoccupations liées au changement climatique est l’impact qu’il a déjà sur la production alimentaire, notamment dans les régions du globe où les pluies sont devenues moins prévisibles et où l’absence de récolte pourrait devenir plus régulière. Alors que la fertilité de la terre s’amenuise et que la population mondiale augmente et passera de 6,2 milliards en 2010 à 9,5 milliards en 2050 selon les prévisions, des questions essentielles se posent quant aux moyens de produire suffisamment de denrées alimentaires pour nourrir ce nombre croissant de personnes à une époque où la disponibilité de la terre et de l’eau est en baisse (GO-Science 2011). On estime qu’à l’horizon 2050, la planète aura besoin de 40 % de denrées alimentaires supplémentaires, de 30 % d’eau en plus et de 50 % d’énergie supplémentaire. Toutefois, les moyens pour y parvenir en ces temps où le changement climatique menace tous ces domaines restent un sérieux défi et auront des implications majeures en termes d’égalité de genre, étant donné que les ressources rares sont rarement distribuées à parts égales. Au regard du changement climatique qui entraîne la hausse des températures et des précipitations imprévisibles, on estime que la réduction de la production alimentaire pourrait atteindre 50 % d’ici 2050 dans certains pays d’Afrique (GIEC 2007).
Les implications de genre sont diverses face à la menace grandissante de pénuries alimentaires, la production et la consommation alimentaires étant toutes deux très genrées (voir point 3.1.2). Les femmes représentant une part importante des agriculteurs du Sud et même selon certaines études 70 % de la main-d’œuvre agricole africaine, les impacts de genre sur l‟agriculture du changement climatique sont manifestes (EICSTAD 2009). Les précipitations devenant moins prévisibles et rendant le travail agricole plus laborieux, dans de nombreux cas, les femmes porteront de façon croissante le fardeau du travail supplémentaire à effectuer et auront le moins accès aux moyens nécessaires. De plus, le changement climatique augmente la probabilité de mauvaises récoltes. Ainsi, les femmes font souvent face aux implications économiques les plus négatives, puisqu’elles ont moins de biens auxquels faire appel et un accès limité à des sources de revenus ou des moyens de subsistance de remplacement (Blackden et Wodon 2006).
Alors que la fertilité de la terre s’amenuise et que l’utilisation des technologies ou d’engrais chimiques devient plus importante pour soutenir les récoltes, les inégalités de genre risquent également de s’accentuer du fait que les femmes disposent d’un accès réduit aux technologies et aux engrais. De plus, les femmes des milieux ruraux sont accaparées par la collecte d’eau ou de combustible, de sorte qu’elles ont moins de temps que les hommes à consacrer à des activités génératrices de revenus (Quisumbing et Pandolfelli 2009).
3.1.2. La sécurité alimentaire
« Rompre le cercle vicieux de la faim et de la pauvreté à la racine commencer par les femmes.
La faim est source d’insécurité et aggrave souvent les circonstances qui entraînent des conflits et des crises et créent des situations dans lesquelles les femmes et filles sont souvent victimes d‟agressions, de viols et de violences. Dans des situations d’extrême pauvreté, l’accès à la nourriture fait pouvoir. »
(Josette Sheeran, Directrice exécutive du Programme alimentaire mondial (PAM 2009: 2)
Les femmes privées de droit aux ressources productives, y compris la terre, le bétail, les machines agricoles et le crédit, sont plus vulnérables aux pénuries alimentaires. Des travaux de recherche montrent comment les normes sociales et culturelles peuvent se traduire par des vulnérabilités sexospécifiques, les filles étant plus susceptibles que les garçons d’être sérieusement affectées par des pénuries alimentaires ; l’absence de pluies, qui réduit la disponibilité des denrées alimentaires, est plus étroitement liée aux décès de filles que de garçons (Stern 2007).
La malnutrition et la sous-alimentation causent déjà jusqu’à 3,5 millions de décès chaque année, mais ce chiffre pourrait augmenter avec la baisse de la productivité des terres due au changement climatique. La malnutrition présente des dimensions de genre, les femmes et les enfants constituant la plus large part des personnes malnutries à travers le monde du fait de normes sociales et culturelles quant à l’ordre de priorité au sein du foyer. Il a été prouvé que les femmes enceintes sont particulièrement vulnérables à la malnutrition et que cela peut affecter la santé de la future mère et entraîner des petits poids à la naissance et un risque accru de mortalité infantile. Des travaux de recherche montrent que, faute d’adaptation adéquate, à l’horizon 2050, il pourrait y avoir 25 millions d’enfants malnutris en plus au vu des rendements agricoles en baisse et de l’inflation.
Quoi qu’il en soit, pour comprendre la vulnérabilité face à la malnutrition, il faut aller au-delà d’une analyse des changements environnementaux et de leurs impacts sur les récoltes. Il est également essentiel de comprendre les facteurs sociaux et les dynamiques de pouvoir sous-jacentes qui influencent la répartition de la nourriture, que ce soit au niveau national, communautaire ou domestique. Ainsi, les preuves du statut inférieur des femmes et filles dans la société sont claires et ont une répercussion directe sur leur niveau de nutrition et les décisions concernant la répartition de la nourriture au niveau du ménage. Ce phénomène est particulièrement évident dans le sud de l’Asie, où la discrimination de genre sous-jacente et les relations de pouvoir inégales au sein du foyer et de la société font que les femmes et filles souffrent souvent de l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, même à des périodes où les denrées alimentaires ne sont pas rares (Ramachandran 2006).
De plus, les femmes et les filles sont particulièrement vulnérables à certains problèmes d’insécurité liés à la rareté des denrées alimentaires et de l’eau. Alors que les sources d’eau s’assèchent et que le combustible devient de plus en plus rare, les femmes et filles peuvent être contraintes de marcher sur de plus grandes distances à la recherche d’eau et de combustible, ce qui les expose au risque de harcèlement et d’agression sexuelle. Ce phénomène est particulièrement prononcé dans des zones de conflit : de nombreuses femmes et filles de camps de réfugiés autour du Darfour affirment avoir été attaquées alors qu’elles cherchaient de l’eau et du combustible (Brody, Demetriades et al. 2008).
3.1.3. La précarité énergétique
Actuellement, 1,6 milliard de personnes, soit 25 % de la population mondiale, notamment dans le sud de l’Asie et en Afrique subsaharienne, n’ont pas accès à une infrastructure énergétique moderne. Et l’on estime que 2,4 milliards de personnes ont encore recours à la biomasse (bois, résidus agricoles et déjections animales) pour la cuisson et le chauffage, un chiffre que les prévisions donnent à la hausse à 2,6 milliards en 2030 (AIE 2010).
La précarité énergétique présente des dimensions de genre manifestes au vu de la répartition de genre des tâches au foyer et des activités de reproduction touchant à la cuisine et à la production de nourriture, qui implique que les femmes sont souvent les principales utilisatrices de l’énergie au foyer.
De ce fait, elles sont les plus durement touchées par le manque d’électricité, notamment au regard du temps passé à collecter le combustible ou des impacts sanitaires dus à l’utilisation de fours traditionnels au bois. En Inde, par exemple, dans des zones rurales, des travaux de recherche ont mis en évidence que les femmes consacrent entre deux et sept heures par jour à la collecte du combustible nécessaire à la cuisson, alors que dans des zones rurales d’Afrique subsaharienne, de nombreuses femmes portent 20 kg de bois combustible en moyenne sur 5 km chaque jour (AIE, World Energy Outlook, 2002).
Etant donné que le changement climatique affecte la disponibilité des sources traditionnelles de combustible et que l’énergie devient plus marchande, rare et chère, il est essentiel que les dimensions de genre soient prises en compte lors de l’élaboration des politiques sur l’approvisionnement en énergie afin d’éviter la féminisation de la pauvreté et une accentuation plus marquée des inégalités de genre (PNUD et Energia 2004). Il est également vital de répondre aux besoins en électricité au travers de processus propres et renouvelables, comme l’énergie solaire ou éolienne. Quoi qu’il en soit, les investissements publics et privés étant de plus en plus orientés vers ces formes d‟énergies renouvelables, les frais supplémentaires ainsi occasionnés risquent d‟être supportés par les consommateurs. Ces démarches ont également de forts impacts de genre, les frais d’utilisation ou augmentations de charges pour le paiement de l’électricité ayant un effet disproportionnel important sur les plus pauvres et les foyers aux plus faibles revenus, y compris des foyers dont le chef de famille est une femme, qui ont tendance à débourser une bien plus importante part de leurs revenus en énergie (Rodenberg 2009).
3.1.4. La rareté des ressources en eau
La communauté scientifique a désormais clairement pris conscience et reconnu les impacts que le changement climatique aura sur l’eau, le GIEC ayant déclaré qu’il y a une forte probabilité que les précipitations deviennent plus variables, que leur intensité s’accroisse et que des inondations et des sécheresses se produisent (Bates, Kundzewicz et al. 2008). Avec le changement des configurations des pluies et un risque accru de catastrophes liées à l’eau, non seulement la production de récolte et la sécurité alimentaire seront affectées, mais il y aura également une moins grande disponibilité d’eau potable pour répondre aux besoins élémentaires des personnes. Actuellement, on compte 900 millions de personnes à travers le monde qui n’ont pas accès à de l’eau potable et plus de 2,6 milliards qui n’ont pas accès à des sanitaires basiques, dont une large part de femmes et de filles.27 Des travaux de recherche menés en Afrique subsaharienne, par exemple, ont mis en évidence le fait que les femmes et filles passent 40 milliards d’heures au total par an à collecter de l’eau, ce qui correspond à une année de travail de la totalité de la main d’œuvre en France (PNUD 2009).
L’exemple exposé ci-dessous nous vient du CAC en Inde, une organisation qui initie des démarches sensibles au genre et durables face au changement climatique de manière participative. Cet exemple montre l’impact que la rareté de l’eau peut avoir sur des inégalités sociales existantes exacerbées au sein des communautés.
La rareté de la ressource en eau à Nainital, Inde
Dans le district de Nainital en Inde, les femmes ont constaté que la pluie devenait moins régulière et que la pénurie d’eau devenait un problème. Elles se sont efforcées de surmonter cette difficulté de diverses manières. Certaines familles disposent de leurs propres réservoirs d’eau et d’autres familles se sont réunies pour construire des conduites qui peuvent s’étendre sur plus de deux kilomètres. Les familles les moins fortunées font appel aux puits à eau souterraine traditionnels appelés noalas, qui ont connu une recrudescence ces dernières années. Ces sources, qui étaient auparavant à l’abandon du fait de leur inutilisation, ont désormais été assainies et dotées de couvertures protectrices en béton. Quoi qu’il en soit, si les noalas ont aidé de nombreuses femmes à collecter l’eau, elles ne peuvent pas subvenir aux besoins de toutes les familles dans la région et, souvent, les familles fortunées disposent d’un accès privilégié aux sources d’eau, ce qui force les femmes les plus pauvres à se déplacer sur de plus longues distances pour collecter de l’eau ou à limiter leur consommation. (Informations issues de processus participatifs menés par BRIDGE en collaboration avec le CAC en 2011) |
L’accessibilité de l’eau présente des dimensions de genre amplement documentées et claires (Sever 2005). Elles sont dues au fait que de nombreuses femmes pauvres accèdent à l’eau via une « propriété commune » comme des rivières ou des lacs, mais la liberté d’utilisation de ces sources est en passe d’être restreinte vu que l’eau devient un bien rare et donc marchand. L’alimentation en eau est de plus en plus souvent confiée à des fournisseurs privés sous contrat dans les pays en développement, et les frais d’utilisation sont facturés. Seuls les foyers qui peuvent se le permettre se raccordent aux conduites d’eau. Cela a de fortes implications spécifiques au genre, les femmes n’étant souvent pas en mesure de payer les charges ou étant forcées à emprunter de l’argent pour ce faire, étant donné que leurs activités peuvent ne pas générer de revenus (Bell 2001).
Il en résulte qu’elles peuvent être contraintes à marcher sur de plus longues distances pour s’alimenter en eau gratuite. L’exemple ci-dessous, qui nous vient du Nigeria, n’est qu’une étude de cas parmi d’autres sur la façon dont la rareté de l’eau peut affecter le bien-être des femmes et leurs opportunités.
Les pénuries d’eau dues au climat affectent les femmes de manière disproportionnée
Les travaux de recherche menés dans les communautés côtières de l’État de Lagos au Nigeria montrent que l’élévation du niveau de la mer et la salinisation des sources d’eau douce sont en train de créer des pressions supplémentaires sur les moyens de subsistance des femmes, la terre devenant impropre aux fins agricoles et les défis d’alimentation en eau douce consommée par la famille nécessitant de plus en plus de temps. Comme une femme l’expliquait : « Trouver de l’eau pour répondre aux besoins du foyer constitue désormais une journée de travail », ce qui fait perdre du temps et coûte davantage étant donné que les familles sont obligées d’acheter de l’eau douce aux vendeurs, une dépense qui représente souvent 50 % de leur revenu mensuel moyen. Alors que les hommes de ces communautés ont tendance à partir à la recherche d’autres opportunités, les femmes sont responsables de la tenue du foyer et de ses besoins en eau et doivent développer des stratégies adaptatives pour faire face au changement climatique. Du fait de leur manque de mobilité et de temps (en raison du temps consacré à la collecte d’eau), elles sont contraintes de se lancer dans des activités mal rémunérées, comme les petits commerces, le travail sur des sites de construction et d’autres emplois informels qui ne nécessitent pas de déplacements fréquents en dehors de la communauté et leur laisse suffisamment de temps pour collecter de l’eau. Les femmes ont également trouvé des moyens de traiter l’eau en réponse à la crise, en collectant l’eau de pluie et en faisant bouillir l’eau contaminée, mais le manque de conscience du changement climatique et d’informations à ce sujet fait qu’il est difficile pour elles de faire des choix d’adaptation avisés et durables, par exemple, au sujet des cultures qui pourraient survivre dans ces nouvelles conditions. (Ngozi Akosa et Oluyide 2010) |
La privatisation de l’eau est également un problème de droits humains, qui affecte les femmes en particulier (voir exemple ci-dessous).
La privatisation de l’eau : un problème de genre
En 2000, les services des eaux de la ville bolivienne de Cochabamba ont été privatisés, ce qui a entraîné une hausse de 300 % du prix de l’eau pour la communauté locale. Les femmes et les responsables de l’eau au foyer et des tâches reproductives ont été touchés particulièrement durement par cette augmentation tarifaire. Ils se sont retrouvés face à des coûts impossibles à gérer et se sont aperçu que les systèmes d’eau de la commune et de leur quartier, à la construction desquels ils avaient participé à travers leur propre travail et contributions, constituaient désormais la propriété d’entreprises privées. Durant les protestations et conflits sociaux qui ont suivi, les femmes ont joué un rôle déterminant dans la défense de leur droit à l’eau, du droit de la communauté à l’eau et de la reconnaissance de leurs rôles et responsabilités dans la collecte de l’eau. (Peredo Beltran 2004 : VIII) |
La conception et la gestion des programmes liés à l’eau et le degré de consultation et de représentation des femmes et des hommes comportent également des questions de genre. Trop souvent, les femmes sont considérées comme de simples bénéficiaires de programmes relatifs à l’eau basés sur le développement, qui ne font que peu de cas de leurs rôles d’agricultrices, de productrices et de gestionnaires des ressources en eau. Du fait des inégalités de genre en termes de droits fonciers et de propriété, les femmes n’ont que rarement accès aux droits relatifs à l’eau, puisqu’ils sont souvent étroitement liés aux accords d’occupation des sols et sont transférés avec la terre. Alors que les femmes peuvent représenter la majorité de la main-d’œuvre qui travaille la terre, elles ne possèdent souvent aucun droit de participation aux organisations qui participent aux décisions relatives à l’eau et à la terre et sont souvent exclues de la gestion ou de la prise de décision touchant à l’eau (CME 2010).
3.2. Les impacts sur la santé du changement climatique considérés sous une perspective de genre
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a mis en avant la façon dont le changement climatique affecte les besoins sanitaires fondamentaux et estime que 140 000 décès supplémentaires sont causés chaque année par les effets du réchauffement climatique (OMS, 2010). Des scénarios incertains et le manque d’informations, notamment des données désagrégées par sexe, rendent difficiles la façon de déterminer clairement les relations de causalité entre le changement climatique et les impacts sur la santé. Quoi qu’il en soit, il semble évident que les ressources devenant plus rares, les températures plus variables et les phénomènes naturels liés au changement climatique comme les vagues de chaleur, sécheresses, inondations ou tremblements de terre plus courants, il y aura une augmentation du nombre de maladies liées au climat ainsi qu’un risque accru de famine.
Les maladies d’origine hydrique sont particulièrement préoccupantes. Avec l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, de plus nombreuses sources d’eau douce seront contaminées et l’apparition de maladies d’origine hydrique pourrait augmenter, les moustiques et autres insectes trouvant ainsi plus de terrains propices à leur reproduction (OMS 2010). La recherche menée par l’OMS montre que pas moins de 80 % de l’ensemble des maladies sont dus à des sources d’eau insalubre, au travers de maladies comme le choléra, la diarrhée, la malnutrition, le paludisme et la dengue, des maladies qui sont toutes sensibles au climat et qui devraient se propager davantage du fait du changement climatique (PNUD 2009).
Les inégalités de genre et les différences associées en matière d’accès à l’éducation, à l’information et aux ressources de santé font que les femmes et les filles sont plus exposées aux maladies et ont moins accès aux services médicaux lorsqu’elles sont malades. Du fait de leur manque de ressources économiques, elles ne sont pas en mesure de payer des soins de santé. Elles subissent également des contraintes sociales et culturelles qui limitent leur mobilité (Brody, Demetriades et al. 2008). Les femmes peuvent également être plus vulnérables aux maladies dues à des différences physiologiques par rapport aux hommes, par exemple lorsqu’elles sont enceintes ou lorsqu’elles allaitent. En outre, lorsque la maladie s’installe dans les foyers, les femmes sont souvent chargées de prendre soin des malades plus nombreux au sein du foyer et de la communauté en raison des responsabilités de soin dont on attend qu’elles endossent (Nelson, Meadows et al. 2002).
3.3. Les impacts de genre des catastrophes liées au climat
Des travaux de recherche révèlent que la fréquence et l’intensité des phénomènes naturels comme les inondations, les tremblements de terre et les ouragans pourraient augmenter sur fond de changement climatique, le nombre de phénomènes naturels enregistrés liés à la météorologie ayant triplé depuis les années 60 et plus de 60 000 décès se produisant chaque année, notamment dans les pays en développement (voir, à titre d’exemple, GIEC 2007). Depuis 1975, les catastrophes ont ôté la vie à plus de 2,2 millions de personnes. Les tempêtes, les inondations, les sécheresses, les vagues de chaleur et autres phénomènes météorologiques liés au climat sont responsables des deux tiers des accidents mortels et des pertes économiques causés par les catastrophes (ONU-SIPC 2009).
Si l’on en croît les travaux de recherche existants, les conséquences des catastrophes naturelles n’ont rien de « naturel ». Les véritables causes des catastrophes sont souvent les vulnérabilités sousjacentes causées par des infrastructures inexistantes ou inadéquates, des habitations surpeuplées et des institutions faibles responsables du manque d‟anticipation (Banque mondiale 2010a). Comme exposé au point 3.8.1, la pauvreté joue un rôle prépondérant dans l‟apparition de la vulnérabilité : du fait du manque d’informations et d’accès aux ressources, les groupes défavorisés ont des difficultés à développer leur résilience ou à élaborer des stratégies pour faire face aux situations de crise.
Les discriminations de genre sous-jacentes et les niveaux de privation plus élevés des femmes les rendent particulièrement vulnérables en cas de catastrophes. Des travaux de recherche révèlent que les femmes et les enfants sont jusqu’à 14 fois plus susceptibles de mourir lors des catastrophes naturelles que les hommes. Par exemple, durant le cyclone et les inondations de 1991 au Bangladesh, le taux de mortalité des femmes âgées de 20 à 44 ans était de 71 pour 1000, et de seulement 15 pour 1000 chez les hommes (Aguilar 2006). Cette situation était principalement due à l’accès inégal à l’information, qui a tendance à être dirigée vers les hommes, aux normes sociales et culturelles, qui limitent la mobilité physique des femmes, ainsi qu’au fait que, dans certaines cultures, l’on apprend rarement aux femmes et aux filles à nager (Cannon 2002).
Trop souvent, la vulnérabilité des femmes est considérée comme un problème lié à leur faiblesse physique. Pourtant, des travaux de recherche menés sous un angle de vulnérabilité sociale montrent que la principale cause de la vulnérabilité accrue des femmes est leur patrimoine plus restreint et, en conséquence, le manque de résilience qu’elles présentent face aux bouleversements externes créés par le changement climatique (Moser et Satterthwaite 2010).
Il a été prouvé que la vulnérabilité des femmes lors de catastrophes naturelles est en lien direct avec leurs droits économiques et sociaux : une comparaison des différences de genre en termes de décès lors de catastrophes naturelles dans 141 pays révèle que dans les pays où l’égalité de genre est plus marquée, la différence de vulnérabilité disparaît (Neumayer et Plumper 2007) .
Il a été prouvé que les rôles de genre affectent également la façon dont les hommes sont affectés par les catastrophes naturelles. Des travaux de recherche indiquent que les hommes peuvent ressentir des pressions les poussant à entreprendre des actes « héroïques », ce qui les expose à des risques plus importants que les femmes et les enfants. Par exemple, après le passage de l’ouragan Mitch, qui s’est abattu sur l’Amérique centrale en octobre 2000, la proportion d’hommes tués à la suite de comportements à risque a été plus importante que celle de femmes (PNUD 2009 : 57). Les hommes peuvent également avoir de plus grandes difficultés à faire face aux conséquences des crises et sont plus susceptibles de s’adonner aux jeux d’argent, à l’alcoolisme et à la violence du fait qu’ils ne parviennent plus à remplir leur rôle traditionnel de pourvoyeur du foyer et à assumer leur identité masculine (Banque mondiale 2001 et Hemmati 2009).
3.4. Les impacts de genre de la migration due au changement climatique
La migration devient plus courante puisque le changement climatique rend certains moyens de subsistance moins durables, notamment dans les zones rurales où les récoltes s’amenuisent et dans les régions côtières où l’élévation du niveau de la mer menace la sécurité des populations et les rend vulnérables aux catastrophes naturelles. On estime à environ 20 à 25 millions le nombre de ces « réfugiés environnementaux ». Le rapport Stern sur les conséquences économiques du changement climatique met en garde : à l’horizon 2050, « 200 millions de personnes supplémentaires pourraient être définitivement déplacées du fait de l’élévation du niveau de la mer, d’inondations plus graves et de sécheresses plus intenses » (Stern 2006 : 65).
La migration constitue souvent une stratégie de dernier recourt, lorsque tous les autres mécanismes d’adaptation ont échoué et que les personnes sont contraintes de vendre la terre ou les biens pour immigrer vers de nouvelles régions à la recherche de nouveaux moyens de subsistance. Ainsi, la migration comporte des implications de genre majeures. Les différences de genre se mesurent tant dans les causes-mêmes de l’immigration, que dans qui immigre, où, pour quelles raisons, pour combien de temps, ainsi que dans les impacts secondaires que leur migration ont sur les autres membres de leur famille, leur foyer et leur communauté. L’exemple ci-après se penche sur la façon dont les différences de genre ont affecté les décisions de migration en Namibie.
Des opportunités genrées face au changement climatique
Face au changement climatique dans les zones rurales de Namibie, lorsque les activités agricoles ne parvenaient plus à offrir des moyens suffisants de subsistance, les hommes et les femmes ont élaboré des stratégies d’adaptation différentes qui ont influé sur la mesure dans laquelle ils ont été contraints d’immigrer ou pas. Les femmes ont eu tendance à se montrer plus flexibles en s’adaptant et en se lançant dans diverses activités informelles allant de la vannerie, à la transformation des noix et en passant par l’élevage de poulets et d’autres petits animaux. Étant donné que les femmes ne disposaient pas des compétences techniques leur permettant de participer à l’emploi formel, elles ont diversifié leurs activités en se tournant vers de petites activités locales, alors que les hommes ont eu tendance à chercher du travail plus loin de chez eux, souvent dans de petites exploitations minières. En conséquence, les capacités de génération de revenus des hommes et des femmes ont changé : les hommes ont eu tendance à disposer d’une plus grande sécurité socioéconomique et ont ainsi été mieux placés pour faire face aux bouleversements climatiques. (Angula 2010) |
Alors que la migration présente des inconvénients pour les femmes comme les hommes, notamment lorsque les femmes assument seules la gestion en l’absence des hommes, des travaux de recherche ont montré comment, dans certains cas, elle a des effets positifs en termes de remise en cause des inégalités de genre. Par exemple, l’augmentation du nombre de foyers dirigés par des femmes pendant l’absence des hommes qui travaillent loin peut avoir des impacts d’autonomisation en termes tant de développement du contrôle des femmes sur les ressources du ménage et du pouvoir décisionnel, que d’amélioration de leur statut économique au travers du fait qu‟elles reçoivent l‟argent (Chant 1998). D’un autre côté, l’absence de membres de la famille de sexe masculin potentiellement travailleurs peut augmenter la charge de travail agricole et obliger les femmes à assumer des responsabilités plus nombreuses, sans toutefois qu’elles ne disposent d’un accès aux ressources financières, techniques et sociales à égalité avec les hommes. Cette situation est particulièrement marquée lorsque les femmes n’ont pas de droits fonciers et de propriété et se retrouvent donc avec la responsabilité de la productivité agricole sans disposer des droits qui leur permettraient d’accéder aux services et ressources dont elles pourraient avoir besoin pour rendre cette activité durable (Lambrou et Piana 2006a).
3.5. Les dimensions de genre des conflits dus aux ressources
Les ressources deviennent toujours plus rares et le changement climatique réduit la disponibilité des denrées alimentaires, de l’air pur et d’approvisionnements en eau adéquate. Le développement humain peut être menacé, mais la sécurité des personnes peut l‟être tout autant, ce qui entraîne un risque accru de conflits et d’insécurité (Dankelman 2010). Le Conseil de sécurité de l’ONU reconnaît désormais le changement climatique comme constituant un enjeu de sécurité humaine du fait du risque de conflits entre pays au regard de la rareté grandissante des ressources et de la terre adéquate pour la production de denrées alimentaires et de combustibles, et les lieux de peuplement humain devenant plus difficiles à trouver.
Le changement climatique augmente les risques d’inondation, de maladie et de famine et peut ainsi créer de nouvelles sources de conflit non seulement à l’intérieur d’un pays, mais également entre pays. Des travaux de recherche ont montré comment la réduction des pluies saisonnières, entraînant la sécheresse et des difficultés économiques, peut augmenter jusqu’à 50 % la probabilité de guerre civile (Edward, Satyanath et al. 2004). À ce jour, nous ne disposons que de peu d’éléments au sujet des dimensions de genre de conflits dus au climat, bien que de nombreux travaux de recherche soulignent les effets négatifs des conflits sur relations de genre et leur capacité à accentuer les inégalités existantes, à créer de nouvelles vulnérabilités ainsi qu’à accroître les violences fondées sur le genre (El Jack 2003).
Néanmoins, ce ne sont pas seulement les conflits issus de pénuries de ressources qui soulèvent des problèmes de relations de genre. Il existe également un risque de conflits résultant d’interventions inéquitables et non inclusives liées à l’atténuation, notamment dans le cas des politiques fondées sur le marché qui ont tendance à transformer des biens publics en marchandises et à les privatiser (comme exposé au chapitre 4) et à priver les communautés locales des droits aux ressources naturelles dont elles dépendent (Roehr 2008). Des travaux de recherche menés en Indonésie ont mis en évidence que les éventuels conflits peuvent survenir du fait de politiques de protection de la forêt fondées sur le marché, dont la promotion est faite sur la base de la Réduction des émissions liées à la déforestation et la dégradation des forêts (REDD), dans les cas où les droits fonciers légaux ne sont pas clairement définis et où des litiges surviennent concernant le partage équitable des revenus entre les différentes parties prenantes29. La nature lucrative de la REDD est également préoccupante, car, combinée aux failles juridiques des systèmes réglementaires, elle peut entraîner la corruption de telle sorte que les communautés indigènes qui jouent un rôle central dans la préservation de la forêt pourraient ne pas bénéficier du revenu généré, entraînant des frustrations et d’éventuels conflits violents (voir chapitres 4 et 5).
3.6. Les impacts de genre « indirects » du changement climatique
Outre les effets directs du changement climatique sur les domaines manifestement sensibles au climat comme l’eau, l’agriculture ou la sécurité alimentaire, il existe également de nombreux impacts « indirects » sur des domaines sociaux comme l’éducation et l’emploi, dans lesquels les inégalités de genre existantes peuvent être creusées. Dans les cas où les femmes font déjà face à des discriminations et à un accès limité aux ressources ou services, comme dans l’exemple éthiopien présenté ci-dessous, le changement climatique peut accroître les inégalités.
Le changement climatique affecte l’éducation des filles
Des travaux de recherche menés en Éthiopie ont prêté attention aux impacts différenciés de genre du changement climatique sur les filles et les garçons : de nombreuses filles sont contraintes à travailler pour gagner de l’argent lorsque les temps sont durs, à cause de sécheresses. Ainsi, elles apportent un revenu à leur famille en sacrifiant leur éducation et leurs perspectives à long terme. Dans la région de Lalibela, par exemple, suite à des périodes de sécheresse, de nombreuses écolières, âgées de seulement 11 ou 12 ans, se sont retrouvées à travailler comme employées de maison dans la ville locale, une situation dans laquelle elles sont plus susceptibles de se faire sexuellement agressées ou de se faire exploiter. En période de sécheresse, les filles ont pour pratique courante de vendre du bois destiné à la cuisson sur les marchés locaux, ce qui constitue une activité génératrice de revenus de remplacement. Cette activité leur crée la lourde tâche de chercher une quantité importante de bois durant plusieurs heures et de le porter à pied jusqu’aux marchés locaux dans les villes voisines. Tigist, une fille âgée de 16 ans, qui vit dans le district de Lasta, a expliqué qu’elle produit de la bière qu’elle vend sur le marché durant les périodes de sécheresse où sa famille est en difficulté. Elle affirme que cela a immanquablement un impact sur son éducation : « j’ai dû manquer l’école au moins une à deux fois par semaine pour préparer la bière. C’est pourquoi j’ai eu de mauvais résultats aux examens cette année. » (Swarup et al. 2011) |
Les effets humains indirects du changement climatique dans des domaines où les dimensions de genre apparaissent comme moins évidentes, notamment dans le domaine plus vaste de l’atténuation, sont encore relativement compris. Ces domaines comprennent, entre autres, les technologies, les infrastructures, le transport, l’accès à l’énergie, l’emploi et l’habitat. La pression exercée sur les pays en développement du Sud quant à leur participation aux objectifs internationaux de réduction des émissions augmente, et les demandes de mise en œuvre d’un développement à faible intensité de carbone deviennent plus urgentes : ces questions gagneront en importance et auront des répercussions sur les femmes et l’égalité de genre de manière plus générale. Vu que les dimensions de genre de ces domaines sont déjà bien connues et documentées dans de nombreux pays, il est inutile de tout reprendre du début. Mais il est important de refléter ces éléments de preuve dans les processus liés au changement climatique et d’étudier ses implications sur l’atténuation dans ces domaines.
3.7. Les impacts de genre des politiques relatives au changement climatique
Outre les impacts directs du changement climatique sur les moyens de subsistance des populations et les relations de genre, il faut également se pencher sur les impacts secondaires résultant des politiques, programmes ou actions menés par les gouvernements, les ONG ou le secteur privé en réponse au changement climatique. De nombreux exemples montrent déjà que des politiques mal informées, « neutres en matière de genre », ciblant des « communautés vulnérables », ne tenant pas compte des dynamiques de genre, peuvent accentuer les inégalités (Nelson, Meadows et al. 2002).
Par exemple, l’expérience des agences GIZ et AusAID au Vietnam montre comment les politiques d’adaptation et d’atténuation ont été conçues d’un point de vue technique biaisé en faveur des hommes, qui ne tenait pas compte des éventuelles conséquences négatives des politiques sur les femmes ou des aggravations possibles des inégalités existantes. À titre d’exemple, les mesures de protection forestière qui visaient à protéger les ressources naturelles ont en fait contribué à exclure davantage les femmes pauvres et sans terre dont les moyens de subsistance dépendent de ressources naturelles variées, issues de la forêt et des berges de rivières (GIZ 2010a).
3.8. Pauvreté, vulnérabilité sociale et changement climatique
Ce point tente de montrer que le changement climatique est intrinsèquement lié à des problèmes plus vastes d’accès aux ressources, de pauvreté et de vulnérabilité. Il examine les corrélations entre pauvreté et vulnérabilité au changement climatique, mais se penche également sur le rôle des facteurs politiques, sociaux et économiques dans la limitation de la capacité des populations à faire face au changement climatique.
3.8.1. Les dimensions de genre de la pauvreté et de la vulnérabilité
Il existe une relation claire entre pauvreté et vulnérabilité face au changement climatique (GIEC 2007).
Toutefois, le lien entre genre, pauvreté et vulnérabilité est plus complexe et soulève plusieurs questions : dans quelle mesure la vulnérabilité des femmes au changement climatique est-elle due à leur pauvreté ? Dans quelle mesure est-elle due à des facteurs autres qu’économiques et à des normes culturelles ? (Terry 2009). Comme l’ont montré des travaux de recherche, bien que les 43 personnes pauvres, notamment les femmes, soient indéniablement plus vulnérables au changement climatique que les personnes qui ne sont pas pauvres, la marginalisation et la privation ne doivent pas être confondues avec la vulnérabilité. Il est essentiel d’étudier d’autres facteurs dépassant la privation matérielle, telle que mesurée dans les indices de pauvreté, en adoptant une approche sociale de la vulnérabilité qui examine les causes profondes de la vulnérabilité enracinées dans des réalités sociales. Cette approche requiert une plus grande attention portée aux causes structurelles plus larges de la vulnérabilité.
Qu’est-ce que la vulnérabilité sociale ?
La vulnérabilité sociale peut être définie comme les caractéristiques d’une personne ou d’un groupe qui influencent sa capacité à anticiper un impact d’un risque naturel, à y faire face et à s‟en remettre par la suite (Wisner, Blaikie et al. 2003). Cette approche reconnaît que la vulnérabilité est fonction d’un environnement politique et économique plus vaste et est souvent déterminée par des facteurs et processus sociaux, culturels ou politiques assez distincts du danger physique lui-même. Ainsi, elle prend en compte un contexte plus vaste, dans lequel les bouleversements climatiques ont lieu, y compris des questions telles que le statut social des personnes, leur genre, leurs moyens de subsistance, les infrastructures auxquelles elles ont accès et les institutions qui influent sur leur accès et leur contrôle des ressources (Adger 1999). Néanmoins, il ne suffit pas de cibler les femmes. Il faut également que le changement institutionnel soit au rendez-vous ainsi que la suppression des barrières sociales, culturelles et économiques qui empêchent les femmes de participer sur un pied d’égalité à la société. |
Alors qu’il est important que le débat sur genre et changement climatique reconnaisse la capacité à intervenir, à s‟exprimer et à participer des femmes, une focalisation sur la vulnérabilité sociale représente un des angles possibles pour attirer l’attention sur les facteurs sociaux, culturels et économiques sous-jacents qui créent les inégalités pouvant défavoriser les femmes.
3.8.2. Richesse et changement climatique
Bien que les liens entre pauvreté et changement climatique soient désormais largement reconnus, une moins grande attention a été prêtée aux relations entre richesse et changement climatique. Alors que les écologistes s’efforcent de sensibiliser au sujet de la façon dont les modèles actuels de production et de consommation peuvent constituer le moteur du changement climatique, les responsables politiques se montrent réticents à aborder les problèmes de richesse ou d’inégalité dans l’accès à l’énergie et aux ressources et à reconnaître la responsabilité des populations du Nord qui doivent modifier leurs modes de vie et de consommation afin de ne pas aggraver les conditions des populations du Sud. Il y a manifestement de fortes implications de genre dans les niveaux croissants de richesse dans les pays en développement et développés. Le potentiel de revenus élevés et de richesse a tendance à se concentrer dans les mains des hommes, et il est prouvé que, même dans les pays riches du Nord, les femmes gagnent rarement des salaires équivalents à ceux des hommes (CSI 2009).
3.9. Comment améliorer la compréhension des impacts de genre du changement climatique et des réponses apportées ?
3.9.1. Élaborer davantage d’informations spécifiques au genre sur le changement climatique
Bien que le corpus de preuves mettant le doigt sur les impacts sociaux du changement climatique et les façons différentes et inégales dont les hommes et les femmes vivent le changement climatique, la vue d’ensemble est loin d’être complète. Une analyse beaucoup plus approfondie est requise quant aux conditions sociales, politiques et économiques responsables de la différence d’exposition et de vulnérabilité des hommes et des femmes face au changement climatique ainsi qu’aux facteurs affectant leurs différents niveaux de participation aux réponses apportées au changement climatique, qu’elles soient liées à l’adaptation ou à l’atténuation.
Il est tout aussi important de comprendre les façons dont les politiques et les interventions relatives aux changements climatiques affectent les femmes et les hommes, de sorte qu’elles n’aient pas l’effet indésiré d’accroître les inégalités de genre, et par voie de conséquence la pauvreté. L’investissement dans la recherche sur le changement climatique et le genre est essentiel pour produire ces preuves.
Comme mentionné ci-dessus, il est également crucial de se baser sur le vaste corpus de preuves genrées existantes qui a été produit depuis de nombreuses années dans des domaines qui comprennent l’environnement, les conflits, le commerce, les catastrophes et l’agriculture, étant donné leur grande pertinence à la compréhension des impacts de genre du changement climatique (voir encadré ci-dessous).
Au moins, des ressources doivent être affectées à la collecte de données désagrégées par sexe sur le changement climatique. Un travail considérable a été abattu pour démontrer l’importance fondamentale de la collecte d’informations faisant la distinction entre les hommes et les femmes ainsi que d’autres facteurs sociaux tels que l’âge, l’origine ethnique, le statut socio-économique et le handicap. Quoi qu’il en soit, les données désagrégées par sexe restent inadéquates pour montrer les impacts différenciés du changement climatique sur les hommes et les femmes ou les impacts de genre des différents instruments politiques sur les relations de genre. Souvent, les données d’enquêtes sont collectées à l’échelle du ménage et ne font que peu de cas de la façon dont les ressources sont distribuées au sein du foyer en supposant que tous les membres du foyer partagent les ressources à égalité. Il existe actuellement un paradoxe de la « poule et l’œuf », qui fait que l’absence de telles données rend difficile de convaincre les responsables politiques de l’importance de politiques sensibles au genre. Et pourtant, tant que de telles politiques et programmes ne sont pas mis en œuvre, la collecte de données sensibles au genre pourrait ne pas être une priorité.
Utiliser les statistiques existantes pour comprendre les impacts de genre
Une analyse de la vulnérabilité au changement climatique à Alger, réalisée par le Programme des Nations unies pour l‟environnement (PNUE) a révélé comment les informations existantes désagrégées par sexe pouvaient être intégrées dans des modèles climatiques afin d’illustrer comment des facteurs sociaux, politiques et économiques sous-jacents affectent la différence d’exposition des femmes et des hommes aux impacts du changement climatique et leur degré de vulnérabilité. L’étude a montré qu’il existait des données désagrégées par sexe en quantité suffisante uniquement dans certaines catégories (alphabétisation des adultes, inscription à l’école primaire, différences de revenus, activité économique et prise de décision). Ces facteurs ont donc été intégrés dans des modèles d’exposition et ont montré que, loin d’être exposés de la même façon, comme les informations désagrégées concernant la population le montraient, les femmes étaient plus de cinq fois plus vulnérables aux changements des conditions climatiques du fait de leur niveau d’éducation et de leur taux d’alphabétisation plus bas, avait moins d’influence sur la prise de décision et des revenus plus faibles (Singh, Svensson et al. 2010). Cette étude de cas illustre l’importance des informations désagrégées par sexe afin de remettre en question la présupposition selon laquelle le changement climatique est neutre en termes de genre, en mettant en évidence l‟influence des inégalités sousjacentes sur la vulnérabilité. (Singh, Svensson et al. 2010). |
Néanmoins, la collecte de ces informations désagrégées par sexe, au niveau du pays ou de la région, ne peut que fournir des indications des impacts sociaux au sens large. Des solutions efficaces ne peuvent être développées que lorsque des preuves qualitatives, spécifiques au contexte et pertinentes localement, sont fournies, au travers de processus participatifs dans la mesure du possible, et lorsque les connaissances qui en sont tirées sont utilisées comme base de la conception de projets, comme l’ont montré des approches innovantes entreprises par des ONG. Par exemple, Action Aid a travaillé avec des femmes népalaises appartenant à des communautés isolées et pauvres en leur apprenant à utiliser des caméras comme moyen de communiquer leurs préoccupations et expériences face au changement climatique aux responsables politiques à l’échelle locale et nationale (Mitchell et al. 2007). Cet exemple est exposé plus en détail au chapitre 5.
3.9.2. Développer des indicateurs efficaces genre et changement climatique
La première étape consiste à comprendre les impacts du changement climatique à travers des informations qualitatives et quantitatives existantes et nouvellement produites. Mais il est également essentiel de s’assurer que les femmes et les hommes bénéficient sur un pied d’égalité des interventions liées au climat qui sont basées sur ces informations. C’est pourquoi des indicateurs sensibles au genre appropriés doivent être développés afin qu’ils puissent être utilisés pour démontrer le succès des programmes relatifs au changement climatique dans leur réponse aux différents besoins des femmes et des hommes et dans la promotion de l’égalité de genre, par exemple en évaluant les niveaux d’implication des femmes (cf. Moser 2007). Les indicateurs de genre existent déjà dans des programmes relatifs à l’agriculture, à l’environnement, à l’énergie et dans des programmes sociaux. Ils pourraient être adaptés en vue d’une utilisation dans le contexte de l’atténuation ou de l’adaptation au changement climatique afin de souligner les impacts différenciés qu’elles peuvent avoir sur les femmes et les hommes. Le processus même de développement d’indicateurs de genre peut également être utile lorsqu’il est mené de manière participative en impliquant les principales parties prenantes et en sensibilisant au sujet des principaux enjeux (voir Moser 2007).
3.9.3. Développer des politiques et des programmes qui tiennent compte des impacts de genre du changement climatique
Une fois que des informations ont été réunies sur les impacts spécifiques en termes de genre du changement climatique dans différentes régions, il est fondamental que les responsables politiques et les donateurs intègrent ces résultats dans leur planification et leur mise en œuvre de politiques. Il existe quelques bons exemples qui montrent que cette initiative commence à voir le jour, notamment lorsque des donateurs bilatéraux entrent en jeu (voir Otzelberger 2011). Par exemple, l’agence GIZ a élaboré un manuel de formation pour une gestion de l’eau responsable en termes de genre. Il présente quelques étapes claires intégrant des dimensions de genre dans les politiques relatives à l’eau, y compris l’analyse des politiques nationales et des cadres institutionnels, en utilisant des indicateurs sensibles au genre pour évaluer les facteurs socio-économiques qui affectent la qualité, l’utilisation et l’accès aux sources d’eau, en développant une stratégie de gestion de l’eau sensible au genre et en mettant en place des processus de surveillance et d’évaluation responsable en termes de genre.
Le ministère du Développement international du Royaume-Uni (DFID) et la direction du Développement et de la Coopération suisse travaillent en partenariat avec la Commission nationale du développement et de la réforme chinoise à la mise en œuvre du programme nouvellement amorcé d’Adaptation au changement climatique en Chine (Adapting to Climate Change in China, ACCC). Ce programme comprend des évaluations permettant d’identifier les différences de vulnérabilité des femmes et des hommes aux impacts du changement climatique (Otzelberger 2011:13).
Résumé
Ce chapitre s’est penché sur les dimensions humaines et notamment de genre du changement climatique. Il a avancé que des données désagrégées par sexe bien plus nombreuses sont requises pour comprendre les impacts de genre du changement climatique. Il souligne que tout travail de recherche doit prendre en compte les contextes sociaux, économiques et culturels qui façonnent les inégalités qui contribuent à la pauvreté et à la vulnérabilité. En se basant sur les récentes preuves disponibles, ce chapitre cartographie les impacts de genre du changement climatique sur des ressources basiques comme l’eau, les denrées alimentaires et l’énergie, en mentionnant les contraintes sociales qui pèsent sur l’accès des femmes à ces ressources. Il met également le doigt sur les impacts indirects du changement climatique sur les femmes, comme le fardeau supplémentaire en termes de gestion du temps, étant donné que l’on attend d’elles qu’elles prennent soin de ceux qui souffrent de maladies liées au climat. Le chapitre suivant examine les moyens de structuration des réponses au changement climatique et aux impacts humains aux échelles nationale et internationale.
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