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Titre de la source : Etude sur la liberté de religion ou de conviction et la condition de la femme au regard de la religion et des traditionsAuteur(s) : Abdelfattah Amor
Éditeur(s) : Nations Unies
Année : 2010
Etude sur la liberté de religion ou de conviction et la condition de la femme au regard de la religion et des traditions (PDF, 432 Ko)
Quels sont les aspects juridiques et factuels de la condition de la femme au regard de la religion et des traditions ? Quels sont les instruments légaux qui permettent de garantir les droits des femmes ? Dans les faits, quel rôle les traditions et coutumes issues de croyances religieuses jouent-elles ?
Ce rapport, rédigé pour la Commission des Droits de l’Homme du Conseil Economique et Social des Nations Unies, émet des conclusions et recommandations en vue d’éradiquer toute manifestation de discrimination ou d’intolérance à l’égard des femmes.
Introduction :
« En ce début de troisième millénaire, de nombreuses femmes dans le monde sont victimes de discriminations tant dans leur vie privée et familiale que relativement à leur condition au sein de la société. Nombre de ces discriminations, bien ancrées dans la culture dominante de certains pays, sont fondées sur la religion ou imputées à celle-ci ; elles sont souvent banalisées et tolérées par l’Etat ou par la société ; parfois, elles sont même consacrées par la législation. Certaines de ces discriminations prennent une forme très cruelle et dénient à la femme ses droits les plus fondamentaux tels que le droit à la vie, à l’intégrité ou à la dignité.
La protection universelle des droits de la femme est certes récente, mais elle a réalisé des progrès considérables. Les droits des femmes occupent une place de plus en plus importante dans l’activité des mécanismes des Nations Unies chargés de la protection des droits de l’homme, et la quasi-totalité des instruments internationaux des droits de l’homme prévoient dans leurs domaines respectifs des dispositions relatives aux principes de l’égalité des sexes et de la non-discrimination. Pourtant, il n’est pas sûr que les droits des femmes aient fait l’objet de l’attention qu’ils méritent face aux manifestations collectives de certaines libertés individuelles, et en particulier la liberté de religion ou de conviction telle que définie par les instruments internationaux.
La compatibilité entre certains droits individuels, dont la liberté de pratiquer une religion, un culte ou un rite, et les droits fondamentaux de la femme en tant que droits universels, pose, en effet, un problème essentiel. Le problème provient du fait que certaines pratiques préjudiciables à la santé, ou au statut juridique, ou de manière générale à la condition de la femme sont revendiquées par des personnes ou des communautés ou encore des Etats qui exercent ces pratiques ou les perçoivent comme une composante de la liberté de religion et comme une obligation religieuse à laquelle, eux et leurs ancêtres, se sont soumis depuis des temps immémoriaux et qui semblent à leurs yeux étrangères à toute question de protection universelle des droits des femmes. L’universalité des droits de la femme en tant que personne humaine nous entraine ainsi dans un débat classique mais toujours d’actualité : celui de l’universalité des droits de l’homme et de la femme, en particulier face aux spécificités culturelles. La question est sensible, parce que les pratiques ou les normes attentatoires à la condition de la femme ont leurs sources, du point du vue de l’auteur de la discrimination, dans ce qui est considéré comme des convictions profondes et, en pratique, dans des prescriptions, injonctions ou valeurs fondées sur la religion ou imputées à celle-ci. On peut s’interroger sur leur définition, mais il n’est pas toujours facile, nous le verrons, de les distinguer de la dimension culturelle ou identitaire, voire ethnique d’une société.
En définitive, la liberté de religion ou de conviction qui implique la revendication légitime d’un droit à la différence et au respect des spécificités culturelles serait dans une certaine mesure incompatible avec l’universalité des droits des femmes, que ce soit au sein de la société, ou en particulier dans la famille. Ce paradoxe − qui peut étonner voire choquer, de prime abord − démontre la difficile coexistence entre certains droits lorsqu’ils sont exercés par une communauté déterminée et les droits fondamentaux de chacun des membres de cette communauté, dont en particulier les femmes. C’est d’autant plus vrai que ce sont généralement les femmes qui sont souvent les premières et les principales victimes de l’exercice des droits antagoniques revendiqués, et des conséquences néfastes qu’implique une certaine conception de la liberté de religion, en particulier dans les situations de conflit ou de crise identitaire.
Ce sont ces problèmes et cette contradiction conceptuelle entre, d’une part, la dimension culturelle de la liberté de religion et, d’autre part, les droits fondamentaux de la femme en tant que personne humaine au regard de la religion et des traditions qui constitueront la trame de la présente étude. Contradiction dont on ne peut comprendre les termes qu’après avoir tenté une définition de la religion, expliqué sa relation avec la culture et analysé la question des spécificités culturelles face à l’exigence d’universalité, exercice auquel nous nous livrerons dans les trois sections suivantes. »
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