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Titre de la source : L'ONU, alliée des femmes ?Auteur(s) : Jules Falquet
Éditeur(s) : Multitudes (n°11)
Pays d'édition : France
Année : 2003
L'ONU, alliée des femmes ? (en ligne)
Les politiques de genre, largement mises en avant par les instances des Nations Unies, répondent-elles véritablement aux intérêts des femmes ? L’interpénétration croissante des discours et des pratiques des institutions internationales d’une part, et de la fameuse « société civile » d’autre part, justifie une analyse féministe critique du système des organisations internationales.
Dans cet article, la sociologue féministe Jules Falquet se propose d’analyser le mouvement féministe latino-américain et des Caraïbes, afin de démontrer/démonter la stratégie du système onusien pour neutraliser les mouvements sociaux contestataires en les faisant « participer » à son projet de « bonne gouvernance » mondiale. Pour l’auteure, en étudiant les « politiques de population » des institutions internationales et la question du micro-crédit pour les femmes, on voit comment l’ONU parvient à se présenter comme « alliée » des femmes et à embrigader dans son entreprise une partie du mouvement féministe, alors qu’elle applique des politiques désastreuses pour les femmes, en particulier pour les femmes pauvres du Sud.
Début de l’article :
« Cet article tentera d’analyser l’interpénétration croissante des discours et des pratiques des institutions internationales d’une part, et des mouvements sociaux, des ONGs et de la fameuse « société civile » d’autre part – en prenant l’exemple du mouvement féministe latino-américain et des Caraïbes. Nous nous demanderons si ces instances internationales ne tentent pas de détourner à leur profit le travail et la légitimité du mouvement des femmes et féministe pour imposer un développement « consensuel », en réalité diamétralement opposé tant aux intérêts des femmes qu’aux analyses radicalement tranformatrices du féminisme. D’autres travaux nuanceront sûrement cette première perspective, mais pour l’instant, il nous semble urgent de rompre avec un certain angélisme vis-à-vis du projet ONUsien de mise en place d’une « bonne gouvernance » mondiale. En effet, malgré un certain nombre de critiques superficielles, sur le fond, ce projet semble devenu le seul horizon de la plupart des mouvements sociaux progressistes, que l’on avait connus plus imaginatifs.
Les Conférences de l’ONU et la « bonne gouvernance » mondiale
Vues sous un angle « positif », les institutions internationales acceptent de plus en plus un certain nombre de notions mises en avant par les mouvements sociaux, devenus plus institutionnalisés et plus propositifs, en vue d’une meilleure gestion des graves problèmes qui affectent la majeure partie de l’humanité. Vue autrement, cette tendance peut être analysée comme la progressive ONGisation des mouvements sociaux, aspirés par des logiques d’institutionnalisation et de légitimation largement fomentées par le système ONUsien : ces mouvements sont non seulement neutralisés, mais amenés à contribuer à la mise en place d’un nouvel ordre mondial totalement opposé aux intérêts des populations initialement mobilisées.
On gardera à l’esprit que toutes les ONGs ne se ressemblent pas, que leur rôle et leur positionnement politique ont évolué historiquement, et qu’elles possèdent une marge d’autonomie et de manœuvre qu’on ne saurait leur dénier sous peine de tomber dans une perspective déterministe. Le système ONUsien pour sa part possède, comme on l’a dit, des failles et des contradictions considérables. Cependant, il a l’avantage de compter avec des moyens matériels et humains infiniment supérieurs à ce que les mouvements sociaux peuvent jamais espérer, et surtout, de posséder une stabilité et une stratégie à moyen et long terme qui le rendent particulièrement efficace.
C’est dans ce cadre qu’il faut replacer le système des conférences mondiales organisées par l’ONU depuis le début des années 70. Système aujourd’hui extrêmement bien huilé, incluant des conférences décennales, des conférences intermédiaires à échéance de cinq ans et des conférences préparatoires puis de suivi à dates et lieux fixes officiellement annoncées par l’ONU, de manière à permettre ou susciter la participation des secteurs invités à prendre part au débat. Dans la mesure où chaque année, ou presque, un nouveau thème est abordé, il y a de quoi tenir en haleine aussi bien les médias que les mouvements sociaux, et tout particulièrement celui des femmes, qui sont concernées transversalement par la plupart des problématiques.
L’ONU a ainsi réussi à engranger un important capital de sympathie et à se constituer en un interlocuteur presque incontournable dans la plupart des grands débats internationaux, fournissant la plupart des données chiffrées utilisées et déterminant les calendriers de mobilisation. Stratégie de positionnement d’autant plus intéressante que le système ONUsien a également réussi à faire accepter assez largement son projet de « bonne gouvernance mondiale », un terme assez flou qui repose sur le caractère « participatif » du processus, réaffirmé depuis 1996 avec la création d’un nouveau statut consultatif plus ouvert pour les ONGs. »
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