«L’absence des femmes, notamment celles des pays du Sud, dans les discussions nationales et internationales et aux tables de prise de décision sur le changement climatique et le développement doit changer. La lutte pour la protection de l’environnement n’est pas seulement une question d’innovation technologique : il s’agit également d’autonomiser les femmes et leurs communautés de sorte qu’elles rendent leurs gouvernements responsables de résultats ». Mary Robinson et Wangari Maathai (Huffington Post, 2010)
Qu’est-ce que le changement climatique et en quoi est-ce un problème de développement ?
Le changement climatique fait référence aux régimes climatiques toujours plus irréguliers, à l’élévation du niveau de la mer et aux événements extrêmes qui peuvent être imputés à l’activité humaine et aux émissions de gaz à effet de serre (GES), qui sont à l’origine du réchauffement climatique. Il est souvent considéré comme un phénomène purement scientifique et technique. Pourtant, le changement climatique représente également un phénomène social, économique et politique, qui connait des implications considérables en termes de justice sociale et d’égalité de genre et qui risque de priver certaines des personnes les plus pauvres de la planète de leurs droits humains fondamentaux.
Les femmes et les hommes les plus pauvres des pays du Sud, qui ont le moins contribué au problème, voient leurs moyens de subsistance davantage menacés alors même qu’ils sont les moins écoutés et influents sur les politiques liées au climat. De plus, comme le montrent les exemples proposés dans ce numéro, en Colombie, en Inde et en République démocratique du Congo, ce sont généralement des femmes qui vivent dans des régions pauvres, souvent rurales, ayant le moins accès aux biens et opportunités d’emploi qui sont touchées le plus durement.
Quelles sont les dimensions de genre du changement climatique?
Les femmes et les hommes ne vivent pas le changement climatique sur un pied d’égalité. Dans de nombreux pays en développement, les contraintes économiques et les normes culturelles qui empêchent les femmes d’accéder à un emploi rémunéré impliquent que leurs moyens de subsistance dépendent de secteurs sensibles au climat, comme l’agriculture vivrière et la collecte de l’eau.
Par ailleurs, les inégalités de genre dans la répartition des biens et opportunités signifient que leurs choix sont sérieusement limités face au changement climatique.
Le fait que les femmes et les jeunes filles sont souvent responsables de la plupart des tâches non rémunérées du Care dans le foyer (nutrition, santé, éducation) signifie également que leurs vies sont directement affectées par les bouleversements dus au changement climatique. Elles doivent souvent parcourir de plus grandes distances à pied pour trouver nourriture, combustible et eau, toujours plus rares, et prendre soin des membres de la famille exposés aux risques sanitaires liés au changement climatique. De ce fait, elles consacrent moins de temps à leur éducation, à leurs activités génératrices de revenus ou à leur participation aux processus décisionnels au sein de la communauté, ce qui accentue les inégalités de genre.
Le changement climatique a également un impact sur les hommes, en particulier pauvres. Des travaux de recherche montrent que certains hommes ressentent des pressions les poussant à entreprendre des actes « héroïques », ce qui les expose à des risques plus importants que les femmes et les enfants.
Pourquoi les dimensions de genre doivent-elles être au coeur des politiques de lutte contre le changement climatique?
L’« ajout » des dimensions genre aux politiques ne suffit pas.
L’architecture institutionnelle internationale dédiée au changement climatique est complexe et en perpétuel mouvement : de nouveaux accords voient le jour en même temps que d’autres accords existants sont amendés. La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) constitue le cadre global international traitant du changement climatique. Elle fut la première à reconnaître le rôle de la perturbation anthropique du système climatique et le besoin de soulever le problème des émissions de gaz carbonique. Bien qu’elle fasse référence à l’activité humaine, la CCNUCC ne fait aucune mention du genre.
Néanmoins, le lobbying de militant-es pour l’égalité de genre dans la lutte contre le changement climatique, comme le réseau mondial GenderCC et d’autres organisations de la société civile, a récemment permis des évolutions positives. Le Plan d’action de Bali, créé lors de la 13e Conférence des parties (CdP) en 2007, fournit des points d’accroche afin d’intégrer le genre. En 2008, le Secrétariat de la CCNUCC était convaincu du besoin d’inclure des recommandations spécifiques de genre dans les documents de la conférence.
Le chemin à parcourir reste néanmoins long. De nombreux processus et politiques relatifs au changement climatique sont encore largement, voire entièrement, aveugles au genre, et font peu de cas des dimensions genre du changement climatique ou les considèrent hors de propos. Lorsque le genre est abordé, il l’est trop souvent sous forme d’« ajouts » aux politiques existantes.
Les politiques fondées sur le marché restent aveugles au genre
Les politiques touchant à l’atténuation et au développement à faible intensité de carbone sont les plus aveugles au genre (voir encadré nº 1). En particulier, l’approche dominante actuelle de réduction des émissions de gaz carbonique via des mécanismes fondés sur le marché, qui prévoit des aides économiques pour récompenser la réduction des émissions ou la préservation des forêts, ne parvient pas à prendre en compte de nombreux facteurs sociaux, culturels et économiques, ce qui limite la capacité des femmes à participer aux marchés ou à en bénéficier.
Elles en ont déjà fait les frais dans le cadre de mesures de protection forestière comme la REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts). La REDD permet aux pays industrialisés de « compenser » leurs émissions de gaz carbonique en payant des gouvernements pour la préservation des forêts, souvent dans les pays en développement du Sud. Il a été démontré que la commercialisation de ressources naturelles antérieurement « gratuites »
entraîne une exclusion encore plus marquée des pauvres et des sans terres, souvent des femmes, qui dépendent de produits de la forêt pour leur subsistance, mais qui ne bénéficient que rarement de ces aides économiques.
Les femmes ne sont pas considérées comme faisant partie de la solution
Lorsque les politiques adoptent effectivement une perspective de genre, elles se basent généralement sur des présuppositions et des généralisations simplistes. Par exemple, les politiques **Il existe un large fossé entre les genres dans la prise de décision Les disparités de genre qui existe dans la prise de décision liée au changement climatique constituent probablement le facteur le plus important de la persistance de l’aveuglement de genre des politiques relatives au changement climatique.
Durant la dernière Conférence des parties de la CCNUCC qui s’est tenue en 2010 (CdP 16), les femmes représentaient seulement 30 % de l’ensemble des membres des délégations et moins de 15 % de tous les chefs de délégations.
L’atténuation : elle correspond aux interventions humaines visant à réduire les sources de gaz à effet de serre ou à développer des activités qui permettent de les éliminer (ce gaz emprisonne la chaleur et maintient la terre à tempé- rature élevée). Citons par exemple la transition vers l’énergie solaire ou éolienne et l’extension des forêts visant à retirer de plus grandes quantités de dioxyde de carbone de l’atmosphère. L’adaptation: elle correspond à des actions menées pour aider les communautés et écosystèmes à faire face aux conditions climatiques en mutation, comme par exemple la construction de digues de défense contre les crues protégeant les propriétés de l’élévation du niveau de la mer ou la plantation de cultures agricoles et d’arbres plus adaptés à des températures élevées et à des sols plus secs.(Ces définitions se basent sur les informations présentées sur le site Internet de la CCNUCC) |
Que faut-il changer?
Les politiques et processus touchant au changement climatique ne seront ni efficaces ni équitables tant qu’ils ne seront pas davantage sensibles au genre. Cela signifie qu’il faut reconnaître que les acteurs du développement sont autant des femmes que des hommes, qu’ils font face à des obstacles différents et souvent inégaux, raison pour laquelle ils peuvent avoir des besoins et priorités différents, voire même conflictuels (Kabeer et Subrahmanian 1996). Une plus grande sensibilité de genre implique également de reconnaître que les femmes ont le droit de participer aux décisions liées au changement climatique et d’en bénéficier sur un pied d’égalité.
Toutefois, la simple prise de conscience des inégalités de genre ne suffit pas.
Toutes les politiques et interventions liées au changement climatique doivent promouvoir activement les droits des femmes et l’égalité de genre afin d’apporter le changement. La transformation de genre est une situation dans laquelle les femmes et les hommes sont à égalité de voix dans la prise de décision et les processus de gouvernance de plus grande portée et se voient donner un accès égal aux ressources nécessaires pour pallier les effets du changement climatique. Dans cette situation, les besoins et les connaissances des femmes comme des hommes sont pris en compte, les institutions établissant les politiques relatives au changement climatique à tous les niveaux ne sont pas biaisés vis-à-vis des hommes ou des femmes, et les fortes barrières sociales qui limitent l’accès des femmes aux ressources pratiques (comme l’aide agricole, les technologies, l’information, le crédit, l’énergie et les services de santé) et stratégiques (comme le pouvoir décisionnel et les droits légaux) n’existent plus.
Outre le travail de lobbying crucial des organisations et réseaux nationaux, régionaux et mondiaux au niveau politique, de nombreuses organisations locales répondent déjà aux besoins réels des femmes et des hommes et font la promotion de démarches de changement, sensibles au genre. Il est impératif de créer des liens plus étroits entre les politiques au niveau global et ces réalités et innovations au niveau local afin de s’assurer que les politiques se nourrissent des voix des femmes et des hommes qui font face aux conséquences du changement climatique au quotidien.
Recommandations-clés à l’attention des décideurs politiques
Changer la façon dont le changement climatique et les solutions associées sont cadrés
- Tenir compte des multiples dimensions de l’inégalité de genre et des expériences de terrain des femmes et des hommes en matière de changement climatique et investir dans la recherche en ce sens.
- Passer de simples suppositions concernant la vulnérabilité des femmes à la mise en lumière de leur capacité d’intervention pour l’adaptation et l’atténuation du changement climatique.
- Tirer les leçons des démarches centrées sur les populations et transformatrices en termes de genre au niveau local et les intégrer dans les politiques nationales et internationales.
- Promouvoir une approche du changement climatique basée sur les droits et s’assurer que toutes les politiques et processus à venir relatifs au changement climatique reposent sur des cadres basés sur les droits civils telle la Convention sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF).
- S’attaquer aux causes sous-jacentes des inégalités de genre en abordant les problèmes comme l’inégalité d’accès aux droits fonciers au travers de réformes législatives et de la sensibilisation, ainsi qu’au travers de la mise en oeuvre de la CEDEF et d’autres cadres pertinents.
- Trouver des alternatives aux démarches fondées sur le marché dans la mesure du possible, et lorsqu’elles sont utilisées pour l’atténuation du changement climatique, s’assurer qu’elles bénéficient aux femmes autant qu’aux hommes et qu’elles n’excluent pas ni ne défavorisent davantage les femmes.
Élaborer des politiques et créer des institutions sensibles au genre
- Aider les institutions chargées du changement climatique à porter un regard critique sur leurs propres structures et processus afin d’identifier et de lutter contre ce qui crée ou reproduit des inégalités de genre en utilisant des audits institutionnels et d’autres mécanismes.
- Permettre la participation égale des femmes aux processus liés au changement climatique aux niveaux local, national et international.
Créer un environnement favorisant un changement climatique centré sur les populations et transformateur en termes de genre
- Continuer à construire la base de preuves en collectant et en analysant les informations portant sur les dimensions sociales et de genre du changement climatique et développer des méthodologies adéquates afin de mesurer les impacts de genre du changement climatique aux niveaux local, national et international.
- Financer les institutions de la société civile aux niveaux international, national et local afin de demander des comptes aux décideurs des politiques relatives au changement climatique quant à leur engagement politique en matière d’égalité de genre.
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