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Auteur(s) : Manjima BhattacharjyaÉditeur(s) : BRIDGE (Dossier Genre et Mouvements Sociaux)
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L’article premier de la DUDH précise que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ».
Le texte proscrit la discrimination et affirme que « chacun peut se prévaloir de tous les droits et de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
Mais le concept fondamental de droits humains et sa capacité à reconnaître
des identités genrées ont toujours été contestés.
C’est durant la Décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985), au moment de l’élaboration de la Convention sur toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (CEDEF), que la véritable situation
des droits des femmes dans le monde a commencé à être examinée.
Un nombre croissant de militant-e-s féministes se sont alors rassemblées lors de trois conférences pour aboutir à la création d’une coalition, la Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des
femmes (Global Campaign on Women’s Human Rights).
Lors de la Conférence mondiale des Nations Unies sur les droits de l’homme de Vienne en 1993, un tribunal des femmes portant sur la violence faite aux
femmes a été créé. De nouvelles idées radicales y ont été émises et le slogan « Les droits des femmes sont des droits humains » a résonné tandis que les
témoignages des femmes poussaient l’Assemblée générale des Nations Unies à adopter la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes.
Les étapes suivantes ont été Le Caire en 1994, conférence durant laquelle la sexualité et les droits reproductifs étaient à l’ordre du jour, puis Beijing en
1995 qui a permis de regrouper les préoccupations des mouvements de femmes dans un plan d’action que les gouvernements devaient s’approprier et traduire en réformes dans le droit et la politique.
Des droits à l’échelle internationale aux réalités locales
Au niveau local, les effets de ces changements mondiaux n’ont pas été les mêmes pour tous les mouvements. Les régions possédaient leurs propres mécanismes en matière de droits humains, comme la Commission inter-américaine des droits de l’homme, la Commission africaine des droits
de l’homme et des peuples et la Commission européenne des droits de l’homme.
Les groupes de femmes ont pu utiliser ces mécanismes pour servir leurs propres priorités. Par exemple, au début des années 2000, une coalition de
militants, d’universitaires et de juristes de toute l’Afrique s’est rassemblée pour donner l’impulsion nécessaire à la création d’une Charte africaine des droits des femmes, le Protocole de Maputo, dont l’objectif était d’étendre
et d’adapter les droits établis par la CEDEF au contexte dans lequel vivaient les Africaines en milieu rural.
Les idées et les comportements genrés qui prévalent dans les « structures profondes »2 des mouvements posent aussi problème. Des idées profondément enracinées sur les rôles de genre peuvent mener à des comportements sexistes, discriminatoires, voire violents à l’égard des femmes et des groupes minoritaires.
Les idées liées à la tradition, à la culture, à la religion et à la sphère privée créent des barrières et peuvent être utilisées pour marginaliser et réduire au silence ceux et celles qui s’élèvent contre les rapports de pouvoirs entre hommes et femmes dans des domaines comme la famille ou qui défendent l’avortement.
Les militant-e-s se voient souvent répondre que les questions de genre seront traitées « après la révolution » et des compromis redistribuent le classement des priorités.
Les questions d’égalité de genre sont abandonnées si elles compromettent les chances qu’auraient d’autres revendications d’être entendues.
Enfin, même lorsque les mouvements parviennent à attirer des femmes en leur sein et à leur permettre d’occuper des positions dirigeantes, il est souvent difficile d’assurer la pérennité du progrès et de faire en sorte que les droits des femmes et la justice de genre gardent une place importante.
Comment construire des mouvements justes dans une perspective de genre?
Identifier et transformer la culture, les dynamiques de pouvoir et les hiérarchies au sein des mouvements en rendant visible le fonctionnement du pouvoir de genre dans « la structure profonde » des mouvements, il est
possible de remettre en cause les dynamiques de pouvoir cachées qui rendent inconfortable ou insupportable la participation des femmes et des groupes minoritaires.
- Soutenir le militantisme interne pour le changement
Il peut être nécessaire de soutenir à la fois le pouvoir collectif des femmes et les artisanes individuelles du changement, de construire un leadership féministe ou de développer des plateformes ou des comités consacrés à l’égalité.
- Mettre un coup d’arrêt à l’impunité accordée à la violence basée sur le genre
Pour que les membres du mouvement soient tenus de répondre de leurs manquements à l’éthique dans les rapports de genre, il est nécessaire d’aborder des sujets tels que la violence domestique ou le harcèlement sexuel, et d’inciter les instances dirigeantes à prendre position contre la
discrimination ou la violence au sein de leurs mouvements.
- Développer les idées politiques et les arguments
Il s’agit notamment de rendre clairement visible la place des droits des femmes et de la justice de genre dans les priorités du mouvement et de créer des espaces de débat sur ce qu’implique la priorité donnée au genre
dans différents contextes propres au mouvement.
- Construire des alliances larges et une cause commune
Pour que se dessine une cause commune, il convient que chacun soit ouvert à la critique et animé par le désir d’écouter et de changer. L’analyse intersectionnelle est un outil utile pour permettre aux mouvements d’identifier les points d’intersection des différents axes de pouvoir.
- Développer l’inclusion au sein des mouvements de femmes et des mouvements féministes
La remise en cause des inégalités et de l’exercice d’un pouvoir discriminant au sein des mouvements de femmes doit être constante et renforcera les solidarités avec les autres mouvements.
- Mettre en pratique la justice de genre dans les mouvements et dans les organisations qui leur sont associées
L’organe central d’un mouvement peut jouer un rôle déterminant pour garantir des progrès en matière de justice de genre. Les stratégies de changement organisationnel et les méthodes d’audit et d’évaluation
sont des outils utiles s’ils sont adaptés et développés en fonction des contextes spécifiques au mouvement.
- Rester attentifs aux rapports de pouvoir entre organisationet mouvement
Les organisations qui se consacrent au développement des mouvements peuvent encourager et aider ces derniers à être inclusifs, à lutter contre de nouvelles formes d’oppression et à identifier des formes émergentes de représentativité.
- Garder le cap et accompagner le changement dans la durée
Pour les mouvements, la vraie difficulté consiste à assurer la continuité des progrès et à travailler à une intégration complète des droits des femmes et de la justice de genre dans la durée, en anticipant les retours en arrière et en y réagissant par des mesures adaptées.
Les succès internationaux
Tous ces changements se sont conjugués avec les actions continuelles de lobbying et de plaidoyer des militantes féministes pour aboutir à ce que, les années 1990 touchant à leur fin, une présence féministe indubitable ait fait
son chemin dans le droit international relatif aux droits humains. Sur la base de violences sexuelles de masse attestées durant des conflits, le viol a été reconnu comme arme de guerre.
Les crimes liés au genre ont été inclus dans le Statut de Rome qui, en 1998, a institué la Cour pénale internationale. La résolution 1325 du Conseil de
sécurité a fait des droits des femmes une question de sécurité nationale et internationale, et la redéfinition de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme de 1998, a permis d’inclure la notion de représailles
contre les « femmes défenseures des droits humains ».
Travailler ensemble
Quand les mouvements en faveur des droits des femmes et ceux en faveur des droits humains ont commencé à travailler ensemble, ils ont appris les uns des autres. Les mouvements de femmes ont obtenus de bons résultats lorsqu’ils ont utilisé les outils des droits humains, et les mouvements en faveur des droits humains ont été sensibilisés aux discriminations multiples et sont devenus plus réactifs sur ce point.
Les organisations de défense des droits humains poussent encore les mouvements de femmes à traduire leurs préoccupations d’ordre général en revendications de changements que l’État pourrait mettre en oeuvre,
alors que les mouvements de femmes ne cessent d’appeler le militantisme pour les droits humains à s’attaquer aux questions de l’intégrité physique, du relativisme culturel et du fondamentalisme religieux sans jamais renoncer aux droits des femmes.
En 2005, des organisations importantes appartenant aux mouvements de défense des droits humains et aux mouvements de femmes se sont rassemblées pour former la Coalition internationale des femmes défenseures des droits humains. Depuis lors, la notion de femmes défenseures des
droits humains a trouvé un écho grandissant. Le travail en commun au sein de la coalition a permis aux acteurs et actrices de s’approprier pleinement le concept et d’étendre son interprétation aux effets moins visibles et pourtant
néfastes de la stigmatisation et des contrecoups vécus par nombre de femmes défenseures des droits humains.
Défis persistants et leçons apprises
Depuis Beijing, les droits des femmes et l’égalité de genre ont progressé de façon inégale. Les violences contre les femmes restent très fréquentes et les aspects genrés de questions telles que les droits économiques et la pauvreté demeurent inexplorés. Il est devenu plus difficile de travailler sur les questions de sexualité et droits reproductifs, sur les droits des travailleurs et travailleuses du sexe, sur la religion et les fondamentalismes, car l’opposition s’est organisée et que les forces conservatrices orchestrent les retours en arrière.
Il existe toujours une résistance au changement des cultures organisationnelles patriarcales. Au sein du mouvement pour les droits humains et des organisations qui lui sont associées, le travail effectué sur les droits des femmes a été évalué et l’on a constaté que l’« intégration
du genre » au niveau stratégique était un succès mais que les défis de la mise en pratique demeuraient.
Le travail n’est certainement pas achevé, mais il est évident que le militantisme des féministes et des mouvements de femmes a, de bien des manières, contribué à « genrer » la direction stratégique de la plupart des mouvements militant en faveur des droits humains.
Stratégies fructueuses
• Un travail transversal entre mouvements pour mettre en lumière les liens entre les droits des femmes et les priorités et thèmes de travail des
autres mouvements.
• Une reconnaissance des interrelations entre les droits des femmes et les questions de droits humains dans un sens plus large.
• Des efforts accrus pour comprendre le contexte et examiner les problématiques politiques en lien avec l’identité, la culture et l’intersectionalité.
• La combinaison du travail d’expert-e-s internes et externes pour susciter une transformation plus conséquente.
• L’utilisation de l’évaluation féministe pour mettre en lumière les manques et illustrer les succès des mouvements et des organisations qui en sont les
artisanes.
• Un engagement sur la durée reconnaissant que la marche vers le changement est faite de grands pas en avant mais également de pas en arrière.
En tournant le regard vers l’avenir du militantisme pour les droits humains et les droits des femmes, nous pouvons noter que c’est lorsque les forces des deux mouvements se joignent que les meilleurs résultats peuvent être envisagés ; quand les idées du féminisme se combinent avec les outils
des droits humains, de grands progrès peuvent être réalisés. Et lorsque les deux catégories de mouvements travaillent en tandem, leurs voix s’en trouvent mutuellement amplifiées.
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