Ressource
Télécharger (PDF)Pour réellement lutter contre le changement climatique, nous devons, d’une part, trouver de nouveaux moyens d’instaurer des approches équitables, durables et participatives dans lesquelles tout un chacun, quel que soit son genre, son âge ou son statut socio-économique, peut participer et dans lesquelles les interventions liées au changement climatique reflètent les réalités locales et y répondent, et d’autre part, lutter contre les inégalités de genre et les dépasser. Les documents suivants constituent des sources d’inspiration pour ce nouveau mode de réflexion. D’autres bons exemples et études de cas sont présentés dans le Panorama.
Mitchell, T., Tanner, T. et Lussier, K. (2007) We Know What We Need: South Asian Women Speak Out on Climate Change Adaptation [Nous savons ce dont nous avons besoin : les femmes de l’Asie du Sud s’expriment sur l’adaptation au changement climatique], Londres : Action Aid International et IDS
Les femmes pauvres au Bangladesh, en Inde et au Népal luttent pour rester en vie et pour protéger leur domicile, leurs biens et leurs moyens de subsistance contre les dangers liés aux conditions météorologiques engendrées par le changement climatique. Quoi qu’il en soit, elles ne sont pas des victimes passives du changement climatique. Ce rapport présente une recherche menée sur le terrain auprès de femmes pauvres vivant en milieu rural dans le bassin de la rivière du Gange au Bangladesh, en Inde et au Népal. Des outils de recherche participative ont été utilisés pour examiner l’impact des changements de la mousson et des régimes d’inondations sur leurs moyens de subsistance, leurs stratégies d’adaptation existantes, les contraintes qui pèsent sur l’adaptation et les priorités de l’adaptation : ce dont les femmes elles-mêmes pensent avoir besoin pour mieux s’adapter aux inondations.
Cette recherche a démontré que les femmes des régions pauvres s’adaptent déjà au climat changeant et peuvent clairement exprimer ce dont elles ont besoin pour sécuriser et soutenir leurs moyens de subsistance plus efficacement, et ce, malgré l’accès limité des femmes aux informations, aux ressources et à l’assistance. Parmi leurs priorités, on trouve : un endroit sûr où habiter et stocker les récoltes durant la saison de la mousson, un meilleur accès aux services comme la vulgarisation agricole, la formation et l’information au sujet des stratégies en termes d’adaptation et de moyens de subsistance de substitution et l’accès aux ressources pour la mise en oeuvre de stratégies efficaces et l’élimination des contraintes. Ce document formule également des recommandations pour ce qui concerne les processus de fonds pour l’adaptation afin de fixer activement les priorités parmi les besoins des femmes pauvres. Ces recommandations comprennent la surveillance de la façon dont les femmes sont ciblées par les fonds pour l’adaptation et dont elles en bénéficient et la mise en place par les États d’un environnement habilitant la participation des femmes au travers de la législation et de pratiques institutionnelles qui garantissent le respect des droits des femmes.
Adenji, G. (ed.) (2011) « Women as key players in climate adaptation » [Les femmes en tant qu’actrices-clés de l’adaptation au climat], Joto Afrika 6, Kenya : Arid Lands Information Network (ALIN)
http://www.eldis.org/vfile/upload/1/document/1104/JotoAfrika_Issue%206.pdf
Résumé réalisé à partir de ce document de synthèse
Le genre d’un individu définit souvent s’il est gagnant ou perdant en cas de catastrophes naturelles : lorsque les femmes sont privées de leurs droits élémentaires, elles sont plus nombreuses à périr du fait de catastrophes naturelles que les hommes. Lorsqu’elles jouissent de droits égaux, le taux de mortalité est plus équilibré. Les débats mondiaux doivent donc identifier la nécessité d’intégrer le genre dans l’analyse du changement climatique, notamment au vu du fait que les femmes assurent jusqu’à 90 % de la production de denrées alimentaires destinées aux populations pauvres rurales et produisent 60 à 80 % des denrées alimentaires dans la plupart des pays en développement, alors qu’elles sont insuffisamment représentées dans les processus décisionnels relatifs au changement climatique.
En se basant sur des études de cas et des actions locales menées dans des pays africains (Afrique du Sud, Togo, Cameroun, Namibie, Kenya et Tanzanie), cette sixième édition de la série de synthèses met en lumière des moyens d’améliorer l’analyse de genre et d’accroître la représentation en matière d’adaptation climatique. Joto Afrika, qui signifie en swahili « l’Afrique ressent la chaleur », est l’intitulé d’une série de synthèses et de ressources en ligne au sujet de l’adaptation au changement climatique en Afrique. Elle est éditée par Arid Lands Information Network (ALIN) au Kenya en partenariat avec IDS Knowledge Services et AfricaAdapt. Les articles mettent l’accent sur la nécessité :
- de collaborer avec les organisations de femmes existantes et de développer leurs capacités ;
- d’investir dans la communication au sujet de la recherche et de la politique ;
- d’améliorer l’analyse de genre afin de développer et de mettre en place des programmes d’adaptation pertinents et adéquats, qui prennent en compte les contextes locaux ; et
- de donner la priorité à des démarches démocratiques et participatives qui assurent l’implication des femmes sans les surcharger.
Krauss, J. (2011) Gender and Climate Change: Gender Experiences from Climate-Related GIZ Projects [Genre et changement climatique : expériences de genre issues de projets GIZ liés au climat], Eschborn, Allemagne : GIZ
http://www2.gtz.de/dokumente/bib-2011/giz2011-0131en-gender-climate-change.pdf
L’agence allemande de coopération internationale, Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit,(GIZ) a fait des défis propres au genre et des réponses au changement climatique ses priorités. Le Plan d’action politique pour le développement relatif au genre de l’agence (2009 – 2012) appelle à l’élaboration de stratégies sensibles au genre et différenciées selon le genre en matière d’adaptation au changement climatique ainsi qu’à des améliorations en termes de fourniture d’informations sur la question. Ce document de synthèse de 2011 repose sur une analyse menée par le programme de l’agence GIZ pour la promotion de l’égalité de genre et des droits des femmes. Cette analyse porte sur les bonnes pratiques dans les approches de genre et les expériences issues de programmes et de projets liés au climat de l’agence GIZ. À cette fin, le « lien avec le climat » a été 57 défini de manière vaste de sorte qu’il dépasse les projets travaillant explicitement à l’adaptation au changement climatique. Les approches de genre présentées dans ce document sont orientées vers la valorisation des efforts de professionnels du développement, notamment des directeurs de projets et des responsables de la planification chargés de projets relatifs au changement climatique, ainsi que du milieu universitaire et de la société civile.
Le document présente des approches sensibles au genre issues de différents contextes mondiaux et portant sur différentes thématiques. Parmi les domaines abordés, on trouve : les dimensions de genre de la conservation de la nature et de la lutte contre la désertification au Maroc, la gestion des ressources en République dominicaine, la gestion de bassins hydrologiques dans le bassin du Mékong, la gestion du savoir dans la région d’Hindu Kush dans l’Himalaya. Parmi les exemples de bonnes pratiques, citons le cas du programme de formation à la gestion des bassins hydrologiques, mené dans le bassin du Mékong, qui implique systématiquement des femmes. Le document conclut qu’il existe un besoin d’intégration continue du genre à toutes les étapes de développement de programmes et d’analyse de projets pertinents en termes de climat, y compris l’utilisation d’instruments sensibles au genre pour lutter et faire face au changement climatique. Il avance que la mise en application effective de ces approches pourrait contribuer à prévenir l’accentuation des inégalités de genre par le changement climatique et faire en sorte que les réponses apportées fassent la promotion de l’égalité de genre.
IIED (2009) « Community-based adaptation to climate change » [Adaptation à base communautaire au changement climatique], Participatory Learning and Action [Apprentissage et action participatifs] 60, Londres : IIED
http://pubs.iied.org/pdfs/14573IIED.pdf
Toutes les communautés sont en droit de contribuer aux stratégies d’adaptation climatique. Ce numéro de Participatory Learning and Action a été élaboré par l’institut international pour l’environnement et le développement, IIED, de sorte que sa publication coïncide avec la CdP 15 de 2009 et les événements en marge de cette conférence. Cette publication vise à faciliter l’apprentissage et le partage d’expériences ayant trait aux approches d’adaptation à base communautaire (ABC) qui autonomisent les communautés marginalisées et pauvres et se basent sur les savoirs et les stratégies d’adaptation locaux. Elle soutient que ces approches ont tendance à être bien plus réussies que des initiatives par le haut.
La première partie se penche sur les pratiques et processus participatifs d’ABC, comme les cadres de PRN, les écoles de stages pratiques de terrain pour agriculteurs et les analyses participatives de vulnérabilité. Diverses études de cas sont également présentées, comme la gouvernance de l’eau en Afrique de l’Ouest et la sélection de plantations au Sri Lanka, qui donnent de précieuses leçons aux praticiens de l’ABC. Certaines des études de cas présentent l’utilisation effective d’outils participatifs comme la vidéo et des exercices d’inventaire. Citons une des leçons retenues : les hommes et les femmes perçoivent souvent différemment les dangers liés au climat, et les animateurs externes ne doivent pas imposer leur « expertise » mais prendre le temps d’apprendre à connaître le savoir local.
5.1. Des démarches innovantes en Colombie et en Inde
Dans le cadre du Kit Actu’ décrit dans la première partie, Georgina Aboud a rendu visite à deux organisations : FUNDAEXPRESIÓN en Colombie et le centre de sensibilisation communautaire Community Awareness Centre (CAC) en Inde. Elles travaillent sur les questions de genre et les problèmes de changement climatique. En travaillant avec des communautés locales et d’autres organisations et réseaux, elles proposent des démarches innovantes et édifiantes pour l’atténuation et l’adaptation du changement climatique qui prennent en compte et remettent en cause les inégalités de genre existantes. Il en résulte des solutions pertinentes et sensibles au genre qui autonomisent souvent les femmes, comme en témoignent les deux études de cas exposées ci-dessous.
Étude de cas : FUNDAEXPRESIÓN : démonstration du pouvoir des réseaux et du partage d’innovations en Colombie
Dans la région rurale de Santander en Colombie, le changement climatique envenime un ensemble de problèmes d’une plus large portée qui affectent ses habitants. La monoculture du café et de l’ananas, la déforestation, les infrastructures routières de mauvaise qualité, la pollution de l’eau, la corruption, l’exploitation minière et la menace de la privatisation nationale de l’eau : tous ces problèmes aggravent les effets de régimes climatiques de plus en plus erratiques, en particulier les changements liés aux niveaux et fréquences des précipitations. La réponse face à ces défis réside dans la tradition qu’ont les Colombiens de former des associations et des réseaux de façon à promouvoir l’égalité de genre. Les associations de femmes ont créé des alliances solides avec d’autres réseaux et organisations dont FUNDAEXPRESIÓN (une ONG qui soutient l’écologie agricole, la souveraineté alimentaire et l’égalité de genre), l’École paysanne d’écologie agricole, le réseau communautaire des réserves forestières et les mouvements des peuples indigènes. Leurs objectifs sont les suivants : partager des approches d’adaptation et de résilience au changement climatique et d’autres problèmes associés et promouvoir des modes de vie alternatifs et l’autonomisation des femmes.
Les réussites de ces réseaux comprennent le soutien de femmes durant les périodes de fortes pluies de décembre 2010, période durant laquelle de nombreuses personnes ont été déplacées et leurs moyens de subsistance menacés. L’agricultrice Martha Rios a dû faire face à la destruction de sa ferme familiale et de sa propriété, ce qui a obligé son mari à émigrer pour travailler afin de subvenir aux besoins financiers de leur famille. Ainsi, elle s’est retrouvée seule pour élever ses quatre enfants et commencer les travaux de remise en état de sa terre et de son foyer. Néanmoins, après ce désastre, Martha a immédiatement bénéficié du soutien mobilisé par AMMUCALE (Asociación Municipal de Mujeres Campesinas de Lebrija), le réseau communautaire des femmes d’agriculteurs dont elle était membre. AMMUCALE a alimenté un réseau de protection sociale en développant des hébergements temporaires indispensables.
Les organisations ont aidé les femmes, en les considérant comme des acteurs-clés et en les encourageant à participer à l’élaboration de solutions locales d’adaptation au changement climatique. Au travers de l’École paysanne d’écologie agricole, les inégalités de genre qui limitent l’accès des femmes à l’information et à la prise de décision ont été remises en cause et les femmes ont pu bénéficier gratuitement d’un apprentissage flexible portant sur les pratiques agricoles durables et couvrant l’agrosylviculture. Cette éducation informelle, associée à la formation au leadership, a placé 59 les femmes au premier plan en matière de pratiques d’adaptation climatique locale. Nombre d’entre elles sont à présent les championnes des stratégies de subsistance durables au sein de leurs familles et de leurs communautés au sens plus large. Les agricultrices travaillent au travers d’associations et de réseaux et ouvrent désormais la voie en matière de partage de pratiques innovantes lors d’ateliers se tenant dans leurs fermes. Ces ateliers portent sur des techniques telles que la récupération des eaux de pluie et le compostage.
Les associations et réseaux solides de Santander ont joué un rôle fondamental dans l’adaptation au changement climatique et dans l’amélioration de l’égalité de genre. Le renforcement de la voix des femmes et le développement des échanges, alliés à une aide pratique, ont permis de créer l’occasion de développer des solutions locales durables à partager et à adopter dans la région.
Étude de cas : CAC : l’autonomisation des femmes qui luttent contre les répercussions du changement climatique en Inde
Le CAC est une ONG pilotée par la communauté, située dans le district rural et isolé de Nainital en Inde, où les villageois dépendent de l’agriculture et des forêts, qui constituent leurs moyens de subsistance. Ces derniers temps, du fait de conditions météorologiques imprévisibles et du changement des pratiques agricoles, les agricultrices et les agriculteurs locaux ont vu la productivité des cultures s’amoindrir et la destruction des forêts s’accroître. L’approche du CAC pour lutter contre ces problèmes est centrée sur la communauté. Elle encourage la population qui vit dans la localité, en particulier les femmes, à participer à des exercices participatifs en vue d’améliorer la compréhension du changement climatique et de développer des solutions durables à appartenance locale.
Le travail du CAC portant sur les forêts a connu un succès particulièrement franc. Dans le cadre de programmes gouvernementaux, les villageois ont abandonné des plantations traditionnelles résistantes en passant à de nouvelles cultures de rente, qui étaient moins résistantes face au changement climatique et plus gourmandes en eau. En conséquence, les villageois ont commencé à utiliser du fourrage provenant des forêts pour nourrir leurs animaux, participant ainsi à la déforestation, avec ce que cela implique en termes de changement climatique. Au travers de démarches participatives et d’ateliers d’autonomisation, les femmes locales ont commencé à s’interroger non seulement sur l’impact de leurs méthodes agricoles, mais également sur leur manque de pouvoir décisionnel en matière de cultures et de questions forestières.
Le résultat de ce processus a des impacts considérables sur la vie du village : les femmes remettent en question les préjudices de genre en posant leur candidature et en remportant des élections à des postes de direction du comité forestier local (Panchayat). Grâce à leur capacité décisionnelle nouvellement mise en lumière, elles ont contribué à changer la façon dont les forêts sont gérées, en apportant un sens des responsabilités et en changeant les perceptions de la forêt, pour que la population la considère comme une ressource importante. Jouissant de connaissances et d’une confiance en soi accrues, les femmes ont également fait la promotion d’un retour à des méthodes d’agriculture biologique, qui nécessitent moins d’eau et qui sont plus résistantes au climat imprévisible. Elles fournissent également plus de fourrage pour le bétail. Sinon, les femmes devraient passer du temps à le collecter dans les forêts.
5.2. Une précieuse spécificité francophone.
Les cas de RDC, Niger et Sénégal et le panorama québécois De nombreuses et très intéressantes initiatives intégrant le genre dans la lutte contre le changement climatique se développent dans les pays francophones. Elles souffrent néanmoins d’un manque de documentation et sont à ce jour à un stade embryonnaire.
Aussi, alors que la majorité des Etats francophones inscrivent le genre dans les textes de leurs ordres du jour de lutte contre le changement climatique, les résultats sont presque insignifiants. La question est alors de savoir quelle en est la cause. Il n’y en a certainement pas qu’une.
En Afrique de l’Ouest et Centrale, la principale raison est à trouver du côté du système de gouvernance qui est décentralisé. Si bien que les moyens alloués aux questions de genre pour le changement climatique ne sont pas gérés au niveau de l’Etat mais au niveau des collectivités locales. Or, les régions, et encore moins les communes, ont peu de moyens financiers et surtout n’ont pas de moyens humains dédiés au genre, c’est-à-dire que les personnels ne sont pas formés en genre et par conséquent ne mettent que très rarement le genre comme une priorité dans les programmes de lutte contre le changement climatique, y compris ceux liés à l’urgence. Au mieux, le genre est ajouté. Dans les Caraïbes ou en Asie-Pacifique, la raison est à chercher dans l’influence conjointe de l’extrême pauvreté et des faibles priorités données à l’intégration du genre dans les politiques de lutte contre le changement climatique. Enfin, sur tous les continents, la documentation sur l’intégration du genre, ses objectifs, les processus de mise en place, la mesure de ses impacts et résultats, sur des exemples de bonnes pratiques ou des travaux de recherche, sur des analyses spécifiques au contexte francophone, manquent.
Par ailleurs, les leçons retenues et les bonnes pratiques en matière de genre et changement climatique, et de genre plus généralement, à l’échelle internationale, viennent historiquement de continents, de pays, de régions, plus avancées dans le processus de publication sur la réflexion et la mise en oeuvre de l’intégration transversale de genre dans les politiques. Et ces réflexions et mise en oeuvre restent aujourd’hui à confronter au contexte francophone. Elles ne peuvent pas être facilement appropriables. Elles demandent à être transformées. Elles ne peuvent pas intrinsèquement être plaquées comme modèles. Elles doivent être confrontées aux spécificités historiques et géopolitiques des pays francophones. Elles requièrent notamment des informations de la part de praticiennes et de militantes de terrain, processus qui n’est qu’à son commencement.
Ensuite, en Afrique notamment, les modes de mobilisation des femmes sont différents, plus difficiles, souvent de plus en plus déterminés par l’aggravation des situations de conflit, par l’accélération de l’urgence, ainsi que les systèmes d’institutionnalisation du genre, ce qui demande à être pris en compte dans le domaine du changement climatique. En effet, les contextes socioculturels et économiques prégnants ne favorisent ni l’intégration du genre dans les programmes d’adaptation au changement climatique, ni l’analyse genrée des impacts des programmes, la plupart desdits programmes étant mis en place dans des zones d’accélération cyclique de la paupérisation dus au changement climatique.
Cette partie de la Boîte à outils présente trois études de cas qui illustrent la façon dont le genre a été intégré dans des programmes de lutte contre le changement climatique au Niger, au Sénégal et en République démocratique du Congo. Elle éclaire sur les regards posés à travers l’intitulé « genre et changement climatique » sur aussi bien la participation, le soutien institutionnel et technique face à la pauvreté et le pouvoir collectif des femmes. Cette partie inclut également un panorama des initiatives citoyennes et de recherche au Canada, avec la liste des contacts utiles.
Nous remercions les personnes contactées au sein des organisations qui ont donné leur temps pour répondre à l’ensemble de nos sollicitations et pour fournir les informations dont nous avions besoin afin de rendre compte des initiatives décrites dans cette partie. Nous remercions en particulier Salimata Diatta Coly, de l’ONG ENDA Pronat au Sénégal, Yasmine Diagne, Hortense Gbaguidi et Jean-Philippe Thomas de l’ONG ENDA Energie au Sénégal, Annie Matundu, de l’association AFEBAF en République démocratique du Congo, Gouzaye Yahaya, de l’ONG Développement pour un Mieux Etre (DEMI-E) au Niger et Denise Proulx, de GaiaPresse au Canada.
Etude de cas approfondie. RDC : les femmes réelles expertes de la lutte contre la déforestation Joelle Palmieri, Genre en Action
Lors du premier séminaire du Réseau francophone Genre et changement climatique à Paris les 27 et 28 janvier 2011, Annie Matundu Mbambi, vice-présidente de l’association congolaise Action femmes du Bas Fleuve (AFEBAF), confiait que son organisation accompagne les populations, et en particulier les femmes, de la région du Bas Congo, en République démocratique du Congo (RDC), dans leur démarche engagée de préservation des forêts et de la nature. Ces femmes partent en effet du constat que déforestation et changement climatique sont liés, ont des effets néfastes sur les écosystèmes, la biodiversité et les relations de genre.
Les forêts de la région du Bas Congo regorgent d’espèces très variées de bois, à l’image du pays, qui abrite la plus grande forêt d’Afrique (62 % du territoire) et la deuxième forêt tropicale du monde au titre de sa grande biodiversité (Etat des forêts du Congo 2006). Mais, la longue période de conflit armé (1998-2003) connaît des impacts sociaux lourds tels que les violences de genre et la pauvreté. Cette situation génère des effets négatifs sur le changement climatique. En effet, afin de lutter contre la famine et la malnutrition générées par ce contexte de transition, une partie de la réserve forestière de la RDC est illégalement déboisée et occupée par des paysans, hommes et femmes, qui cherchent des solutions au plus vite et font commerce de braises ou de grumes (écorce qui reste sur le bois coupé). Le risque est grand de voir disparaître les forêts dans l’exploitation des chaudronneries, la production du bois de chauffe et du bois de construction. Cette extension de la production intensive de l’industrie du bois a des effets directs notamment sur la désertification et la sécheresse, les écosystèmes se trouvant ainsi bouleversés.
Cette déforestation est à son tour productrice de pauvreté, elle-même ayant des impacts différenciés de genre. En effet, la majorité des populations dépend des produits de la forêt pour leur subsistance et sa destruction réduit l’accès aux ressources naturelles, surtout pour ceux qui n’ont pas les moyens de les acheter, notamment en ce qui concerne les plus pauvres dont les femmes. Par ailleurs, la déforestation, en aggravant les feux de forêt, les inondations, les érosions, les chaleurs intenses, dégrade les conditions de travail des femmes, principales productrices des aliments de base, qui subissent la chaleur accrue, voient leurs terrains inondés… Ensuite, le déboisement anarchique occasionne la chute des rendements agricoles, ce qui amène la malnutrition, la pénurie de nourriture et d’approvisionnement en eau, dont les femmes sont responsables. En outre, la déforestation rend les déplacements et le transport de l’eau, dont les femmes sont socialement en charge, plus difficiles, plus longs et plus dangereux du point de vue de leur sécurité personnelle, occasionnant parfois des violences sexuelles, individuelles ou collectives, à leur encontre. Annie Matundu Mbambi explique que, dans la période actuelle de transition, les forces étrangères déboisent les forêts dans le cadre de leur stratégie militaire, ce qui crée autant de lieux à haut risque où les conflits se produisent et où les femmes sont agressées par les troupes armées : « Les femmes sont souvent prises en étau par les belligérants ».
La déforestation : révélatrice de genre
« Organisez-vous là où vous êtes », telle est la devise de l’AFEBAF, née en juin 2006, de l’ambition de femmes, jeunes et moins jeunes, du Bas Fleuve dans la province du Bas Congo, de se rassembler afin de participer activement à la prise de décision et au développement durable et intégral de cette région, tout en contribuant à la reconstruction globale de la RDC post-conflit. Ces femmes interviennent sur plusieurs terrains dont la gestion des déchets, l’assainissement, l’accès à l’eau, le reboisement, la prise en compte des impacts du changement climatique dans les stratégies de développement, tout en luttant contre les violences sexuelles. La plupart des activités que l’AFEBAF mène cible l’ensemble de la population rurale, y compris les hommes, leur ambition étant la prise de conscience par les villageois du lien entre lutte contre les déforestations, changement climatique, pauvreté, et obtention de la paix et du changement social.
Par le prisme de la déforestation, les femmes constatent que les inégalités de genre se reproduisent et que la division du travail s’amplifie clairement. Harmandine Phoba, exploitante du commerce de braise, explique par exemple, que les femmes sont confinées à ramasser le charbon, en sacs de 20 kg qui valent 18 000 FCFA (13 €). Les hommes vendent le charbon collecté et parfois ne remettent aux femmes que l’équivalent de trois euros, ce qui constitue une inégalité flagrante puisque la productrice (femme) perçoit 25 % des revenus de celui (homme) qui commercialise.
A contrario, si les femmes font la cueillette des mangues ou des oranges, lorsqu’elles iront les vendre sur le marché, elles partageront la totalité des revenus perçus avec toute leur famille, ce qui améliorera le niveau de vie de l’ensemble du foyer (époux inclus) et les femmes connaîtront des bénéfices accrus puisqu’elles ne reverseront pas des dividendes à leurs maris, frères, pères…
La forêt : lieu d’intervention privé et public des femmes
Harmandine a suivi une des formations mises en place par l’AFEBAF sur la restauration des carrières. Cette formation fait partie d’un ensemble plus large de sessions d’autonomisation sur l’apprentissage des techniques de transformation des produits agricoles (extraction de l’huile, du beurre de karité, des fruits et légumes, des céréales, des tubercules) ou encore l’organisation des femmes en groupements pour l’assainissement de la ville. Depuis, elle a gagné en confiance, se sent maitresse de son outil de travail et participe volontiers aux audiences publiques, notamment relatives aux politiques locales de reboisement. Elle participe ainsi à l’élaboration de programmes locaux d’adaptation et d’atténuation au changement climatique.
De plus, comme Solange Nzigire, responsable de l’extraction de l’huile, en témoigne ces formations permettent aux femmes d’établir le lien entre lutte contre les violences sexuelles, menace permanente, et activité économique : « C’est à partir de ma propre histoire que je me bats pour les femmes de l’informel très exposées aux violences sexuelles ». Ces sessions servent aux femmes qui travaillent les produits de la forêt de lieux d’échanges sur l’intime, les souffrances induites et les solutions à partager. En cela, ces espaces permettent aux femmes d’approfondir leur prise de conscience du lien entre préservation de l’environnement (sphère publique) et sécurité personnelle (sphère privée). Les femmes du Bas Fleuve appréhendent ainsi que les questions de changement climatique sont autant privées que publiques.
Parallèlement, l’AFEBAF mène une politique de plaidoyer politique en direction des décideurs-es nationaux pour qu’ils votent des textes de lois, mènent des évaluations environnementales nationales conjointement avec les professionnels du secteur privé et participent à des campagnes internationales de lutte contre la déforestation, l’application des accords internationaux tardant à voir le jour. En effet, à l’heure de la transition, les mécanismes publics en charge de la protection de l’environnement et de la conservation de la nature, à savoir le ministère de l’Environnement, de la Conservation de la nature et du tourisme, a mis en place des Programmes de changement climatique, comme le Programme régional d’Afrique centrale pour l’environnement (CARPE). L’Institut congolais pour la Conservation de la nature (ICCN) quant à lui a effectué plusieurs études de terrain. Mais les politiques publiques adaptées, notamment en soutien aux efforts des communautés dans la lutte contre la déforestation et dans le développement d’alternatives agricoles, n’ont pas encore été mises en oeuvre. Des programmes intégrant le genre dans le domaine restent à créer.
Aussi, l’AFEBAF mène des campagnes d’information à la fois auprès des populations locales afin de les informer de l’état d’avancement des décisions prises en matière d’adaptation et d’atténuation au changement climatique au niveau national mais aussi en direction des autorités nationales sur les actions menées par les femmes du Bas Fleuve sur la déforestation. Ces campagnes témoignent de l’engagement de l’organisation à s’intégrer dans un processus bilatéral Etat-société civile de consultation, de concertation et de transformation dans le domaine.
Par ces trois champs d’action (autonomisation, plaidoyer politique, information), et en s’adressant à l’ensemble des populations, hommes et femmes, les femmes de la région s’immiscent dans la révélation, sur le terrain de la gestion environnementale, de la division sexuelle du travail, entre sphère publique et sphère privée. En cela, elles ouvrent un réel champ d’innovation dans la lutte contre le changement climatique.
Leçons retenues
Les femmes du Bas Congo, actrices du reboisement, de la gestion du foyer, sont les réelles expertes de la lutte contre la déforestation et par voie de conséquence de la lutte contre le changement climatique. La démarche de l’AFEBAF est innovante car elle introduit une nouvelle logique d’expertise, qui repose moins sur la connaissance académique ou institutionnelle, que sur la connaissance de proximité géographique, écologique, économique, sociale, culturelle, politique des femmes de terrain.
A ce seul titre, en suivant un processus bilatéral dans la diffusion d’informations sur le changement climatique, l’AFEBAF fait la démonstration que les actions des femmes sur la déforestation doivent être rendues visibles en tant que politiques réplicables à grande échelle.
Les expériences de l’AFEBAF montrent également que le local et le global sont interdépendants, tout autant que la gestion du privé et du public. Seule l’intégration de cette vision par les décideur-es nationaux-les ou internationaux-les rend plausible l’effectivité des accords internationaux en la matière.
L’étude de cas s’appuie sur les données de ; Partenariat pour les Forêts du Bassin du Congo, 2006, Les Forêts du Bassin du Congo, Etat des Forêts 2006,
<http://www.cbfp.org/docs/key_docs/Les%20forets%20du%20Bassin %20du%20Congo%202006%20neu.pdf>, consulté le 24 octobre 2011
Pour de plus amples informations, veuillez prendre contact avec : Annie Matundu Mbambi, vice-Présidente de l’Action Femmes du Bas Fleuve, amatmbambi@yahoo.fr, afebaf@yahoo.fr.
Etude de cas approfondie: La participation : recette contre la désertification – exemple nigérien Joelle Palmieri, Genre en Action
Selon Yahaya Gouzaye, coordonateur de projet au sein de l’ONG Développement pour un Mieux-Etre (DEMI-E) (1), le Niger connaît de nombreux impacts du changement climatique dont la désertification, la crise agricole et la migration des populations. Aussi, dans son objectif d’allier développement véritable et amélioration des conditions de vie des populations, l’organisation nigérienne oriente ses activités de lutte contre le changement climatique en intégrant une approche participative genrée.
Malgré les opérations de Conservation des eaux et des sols, de Défense et restauration des sols (CES/DRS) et de reboisement entreprises au niveau national, le Niger connaît une grande difficulté à inverser l’avancée du désert. Chaque année, la superficie des espaces cultivables perdus du fait de la désertification est deux fois plus élevée que celle récupérée à travers les opérations de restauration. Cette tendance a des impacts sur l’accès aux ressources naturelles dont l’eau mais aussi le bois qui constitue la principale source d’énergie des ménages aussi bien en milieu rural que urbain. Ces impacts sont différenciés selon les genres, les femmes étant socialement responsables de la collecte de l’eau et du bois afin d’assurer la sécurité alimentaire et la santé des ménages. Par ailleurs, selon l’enquête sur la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire de décembre 2009 (2), en 2007, 12 % de la population a sévèrement été touchée et 22 % de manière modérée. Yahaya Gouzaye rappelle que 80 % de la population nigérienne vit en milieu rural où elle pratique l’agriculture et l’élevage selon des techniques extensives, traditionnelles, peu productives. En raison du changement climatique et de la géographie des lieux, la production agricole devient aléatoire.
Par conséquent, les terres de cultures se réduisent au profit de bidonvilles où des familles, de plus en plus nombreuses, viennent chercher la sécurité alimentaire. Cette urbanisation croissante connaît des conséquences sociales et de genre dramatiques. Des enfants, et en particulier des petites filles, s’en voient déscolarisés et les violences, notamment de genre, aggravées. Enfin, en raison de la différenciation des rôles sociaux de genre, les femmes n’ont pas légalement accès à la terre, ce qui a pour effet direct qu’elles ne peuvent pas directement agir sur l’ensemble de ces impacts critiques du changement climatique.
Prenant acte de ces impacts du changement climatique sur la justice sociale et de genre, l’ONG Développement pour un Mieux-Etre (DEMI-E) développe des activités de lutte pour l’adaptation et l’atténuation au changement climatique avec une perspective de genre à travers la participation.
Faire participer pour garantir la durabilité
Née en 1998, de la conviction que « le développement véritable ne peut se faire sans l’amélioration des conditions de vie des populations », l’ONG DEMI-E a choisi de mettre la priorité sur l’accès à l’eau, la santé, l’environnement et la bonne gouvernance. C’est ainsi qu’elle entend « contribuer à l’amélioration des conditions de vie des populations urbaines et périurbaines du Niger ». Intervenant dans six régions du pays, l’organisation développe des actions en faveur de l’amélioration de la disponibilité en eau. L’accès à l’eau est conçu comme une question environnementale et comme un axe transversal aux problèmes socioéconomiques majeurs que connaît la population nigérienne que sont le VIH⁄SIDA et la malnutrition.
Aussi, loin de considérer l’adaptation au changement climatique comme une question technique, DEMI-E a pris pour parti de faire reposer ses stratégies d’intervention sur les besoins réels identifiés et exprimés par les populations locales. Pour l’ONG, l’adaptation au changement climatique est avant tout une question sociale. Elle requiert une adhésion et une implication des personnes, hommes et femmes, autant victimes qu’actrices du changement climatique. Ainsi, comme l’explique Yahaya Gouzaye, DEMI-E a toujours souhaité orienter ses stratégies de manière participative, depuis la réception et l’analyse des demandes provenant d’un village, d’une commune, d’une association ou d’un groupement jusqu’au transfert des technologies adaptées aux communautés villageoises, le tout en prenant en compte une perspective de genre.
Dans l’exemple précis du projet de Gestion intégrée des ressources en eau (GIRE) (3) implanté dans la vallée de la Tarka, entre les départements de Bouza et de Madaoua dans la région de Tahoua, les femmes ont été consultées à égalité des hommes des villages, afin d’établir un diagnostic complet de la situation des villages ainsi que des problématiques et thématiques spécifiques aux caractéristiques géographiques des différentes zones qui composent le Bassin (rive gauche, rive droite, vallée). Ce diagnostic a été réalisé par l’intermédiaire d’outils que l’ONG utilise : l’Outil d’inspection des risques à base communautaire en matière d’adaptation et de moyens de subsistance (CRiSTAL (4)) et l’outil d’Analyse de la Vulnérabilité et de la Capacité d’Adaptation aux changements climatiques (AVCA), qui sont des outils d’aide à la prise de décision. Selon Yahaya Gouzaye, l’application de ces outils a aidé les communautés des villages à identifier la vulnérabilité des ménages, à évaluer leur capacité à faire face aux aléas et risques climatiques et à proposer des plans d’action GIRE au niveau local.
Boubé Touni, âgée de 55 ans, du village de Kochimaoua et déléguée du processus GIRE, témoigne de comment l’ensemble de ce processus a permis aux femmes de gagner en autonomie sur leurs productions agricoles : « Il y a 10 à 20 ans nous avions plus de rendements pour nos récoltes et de pâturages pour nos animaux. Mais aujourd’hui avec les effets du changement climatique, il y a insuffisance des pluies causant du coup l’insécurité alimentaire. Cela nous tracasse beaucoup. Avec les travaux CES/DRS et des partenaires du développement dont le PGIRE, nos terres deviennent cultivables, le pâturage est accessible et le couvert végétal est regarni ».
De la participation à l’autonomie des femmes
Sur le terrain, la disparition progressive des zones humides, la dégradation de la biodiversité et des champs de cultures mettent à rude épreuve la capacité d’adaptation des ménages. DEMI-E a décidé de renforcer leur capacité en matière de réalisation de diagnostics environnementaux et de prises de décisions. L’ONG a soutenu les communautés dans leur option de mettre en place des systèmes de gouvernance participatifs : les villages ont désigné des délégués à parité hommes/femmes au niveau des villages, au sein des associations existantes – comité de gestion des points d’eau, associations de femmes, d’éleveurs, etc. Ils ont élu les membres des Comités locaux de l’Eau (dix membres et trois commissaires aux comptes par Comité) et validé le plan d’action du Bassin du Niger. Ils ont également organisé les assemblées générales des délégués du Bassin afin de débattre des thématiques de la GIRE. Ces assemblées ont regroupé jusqu’à 20 à 30 villages.
Par ailleurs, comme les femmes accèdent à la terre par le seul biais de la location, du prêt ou de l’héritage, les hommes détenant les terres, le rôle des femmes dans les instances de prise de décision, a été valorisé. C’est le cas notamment des comités de l’eau et de l’Agence du bassin qui favorise l’accès à la terre au niveau de la vallée. Ainsi des femmes ont pu faire entendre leur voix et insister sur l’aspect chronophage de la collecte de l’eau, tâche qui leur est traditionnellement allouée. De ce fait, des points d’eau ont été aménagés de façon stratégique dans les villages afin de libérer du temps pour les femmes et ainsi leur permettre de développer leurs propres cultures.
Saâ Halilou, âgée de 47 ans, femme au foyer du village de Kochimaoua, explique : « Il y a cinq ans nous avions un problème crucial d’eau dans notre village. Nous les femmes, nous sommes sorties à partir de Magrib [tombé du soleil] et nous ne sommes rentrées qu’au petit matin parfois sans avoir l’eau. Aujourd’hui nous avons une mini-AEP (5) qui dessert six villages dont le nôtre. Nous sommes très contentes car nous ne passons plus des nuits sur le puits. Ce gain de temps nous permet de nous occuper d’autres travaux domestiques et même de travailler nos lopins de terre pendant l’hivernage ».
Leçons retenues
Les villageois de la vallée de la Tarka au Niger ont montré que, face aux risques du changement climatique, ils savaient se mobiliser et revisiter leurs agendas traditionnels pour mieux faire face à la désertification, à la crise agricole et aux problèmes de sécurité alimentaire. Les stratégies d’adaptation au changement climatique qu’ils ont mis en place avec le soutien de l’ONG DEMI-E sont exemplaires.
Entièrement basées sur une logique participative, elles font le lien entre environnement, genre et durabilité.
En mettant en place des processus de consultation et des organes de décision paritaires hommes/femmes, ils ont ainsi pu enrayer la pénurie d’eau et développer les prémices d’une économie verte où les femmes occupent des positions-clés alors qu’elles ne bénéficient toujours pas du droit d’accès à la terre.
Ces mécanismes locaux mériteraient d’être répliqués à l’échelle nationale pour le moins, où les moyens en ressources humaines tant techniques que de genre manquent cruellement. Cette expérience laisse entièrement ouverte la question des relais entre local et national, et pourquoi pas local et global. Elle demande néanmoins à évaluer les impacts de genre qui dépassent le seul constat du gain de temps pour les femmes afin de mieux gérer leurs foyers pour viser une réelle autonomisation et un véritable changement pour l’ensemble de la communauté.
Pour de plus amples informations, veuillez prendre contact avec : Yahaya Gouzaye, point focal suivi/évaluation de l’ONG DEMI-E au PABEG (programme d’Appui à la bonne gouvernance), ygouzaye@gmail.com.
Etude de cas approfondie. Lutte contre l’érosion : les femmes de Keur Moussa au Sénégal sauvent l’eau
Joelle Palmieri, Genre en Action
Dans la Communauté rurale de Keur Moussa composée de 37 villages, située entre Dakar et Thiès à environ 50 km de Dakar, 17 villages sont soumis à l’érosion hydrique et à la dégradation accélérée des terres dues au changement climatique. Parce qu’ils sont surplombés par des massifs, la forte inclinaison fait que ces villages connaissent un drainage trop rapide des eaux. Cette érosion hydrique provoque à la fois des problèmes environnementaux (dégradation des ressources, décapage des sols, ravinements, absence d’infiltration des eaux) et sociaux (accidents mortels, écroulement des maisons, non accès aux ressources). Elle a également des conséquences économiques et de genre profondes puisque qu’elle a considérablement réduit les rendements agricoles dont les femmes sont les principales actrices.
En effet, les femmes, souvent responsables de la collecte de l’eau et de la nutrition des ménages, sont confrontées au manque d’accès à l’eau. Elles rencontrent des difficultés accrues dans leurs activités agricoles, maraîchage, petit élevage, aviculture traditionnelle, autant de productions qui répondent aux besoins des familles et qu’elles commercialisent sur les marchés. A cause de l’érosion, les zones cultivables se sont largement raréfiées. Le peu de terre disponible est devenue inculte, dépourvue de sol cultivable, celui-ci disparaissant avec les eaux de ruissellement qui déracinent la végétation et les cultures. Par conséquent, les femmes ont vu leurs productions et rendements agricoles se réduire et leurs revenus tirés de l’agriculture chuter. Cette situation a notamment poussé les jeunes hommes et femmes à migrer vers la capitale, voire vers d’autres continents. Les villages se sont vidés ce qui n’est pas sans conséquence socioéconomique. Dans le village de Landou par exemple, on compte environ 118 femmes pour une vingtaine d’hommes. Les femmes se retrouvent chefs de famille et leurs charges de travail pour assurer la nutrition et la santé des foyers alourdies.
Mobiliser les femmes pour l’eau
Prenant acte de cette situation dramatique, trois villages, Santhie Sérère, Kessoukhatte et Landou, ont été choisis comme sites expérimentaux dédiés à la lutte contre l’érosion dans le cadre du Programme Agrobio Niayes conduit par ENDA Pronat (Environnement et développement du Tiers Monde – Protection naturelle des cultures). Programme de l’ONG Enda Tiers Monde qui promeut le développement rural durable en accompagnant les communautés de base dans le contrôle et la gestion écologique de leurs ressources et l’appropriation de la gouvernance de leur terroir, ENDA Pronat souhaite la participation active des populations locales. Sur ce site et dans un souci de renforcement des capacités techniques et organisationnelles, l’organisation a souhaité cibler les femmes. Elle entend ainsi à travers des activités de formation, des actions de plaidoyer, la promotion de pratiques agroécologiques et des activités génératrices de revenus, permettre aux femmes d’intégrer les instances de décision pour mieux défendre leurs intérêts, mieux participer aux activités de protection et de gestion de l’environnement, produire sainement et assurer une sécurité alimentaire aux communautés de base.
Des consultations ont été menées pour discuter des problèmes et des solutions à apporter à l’érosion, à la disparition des terres arables, au déracinement des cultures et des arbres, à la rareté de l’eau et à l’inaccessibilité des villages. Un projet a été initié, une fédération paysanne rassemblée et des comités établis en fonction des priorités. Les femmes sont présentes à toutes les étapes du programme, mais en sous-nombre. La fédération paysanne est dirigée par un bureau exécutif qui compte quatre femmes sur douze membres. Il existe une seule femme sur les quatre animateurs de zone, trois commissions techniques (l’organisation, l’action sociale et la commercialisation) sont présidées par des femmes, et sur les sept comités de gestion de caisses autogérées, cinq sont dirigées par des femmes, alors que 85 % des bénéficiaires sont des femmes. Sur les sept villages intervenant dans la lutte contre l’érosion hydrique, trois femmes occupent les postes de présidentes des comités environnementaux. Au niveau du projet, l’équipe technique, dirigée par une femme, compte trois femmes sur neuf membres.
Les femmes membres du bureau exécutif de la fédération, de l’équipe technique et l’animatrice participent aux séances de planification trimestrielle des activités du projet, aux rencontres mensuelles d’évaluation et de planification, à l’exécution des activités, à leur suivi et à l’autoévaluation. Les caisses autogérées sont gérées par les femmes elles-mêmes. Dans les activités de restauration de l’environnement, elles contribuent à la conception, à l’entretien et à la mise en oeuvre des travaux. Elles font également partie des groupes de recherche sur les impacts des ouvrages de lutte antiérosive sur l’environnement. Elles participent autant que les hommes aux différentes formations prévues dans le cadre du projet.
Leur sous-représentation peut s’expliquer par le fait que les femmes ne postulent pas aux postes de responsabilité comme celui de président de la fédération et de certaines commissions-clés. L’analphabétisme, le travail domestique et les contraintes liées au mariage – les maris ne laissent pas leur femme participer aux rencontres mixtes – représentent des obstacles majeurs à la participation des femmes.
Des technologies au service des populations
Pour contrôler le débit d’eau, les femmes ont été formées, au même titre que les hommes, pour construire des barrières de pierre et se sont engagées dans le reboisement. Equipées de pelles, pioches, daba, marteaux, seaux, elles ont multiplié les techniques de défense et de restauration des sols. Elles ont réalisé des cordons pierreux qui permettent de ralentir la vitesse de l’eau et facilitent le dépôt de sable et de sédiments. Elles ont creusé des tranchées à ciel ouvert qui freinent la vitesse de l’eau quand il n’y a pas assez de pierre. Elles ont monté des ponts filtrants qui atténuent le ravinement, filtrent l’eau et retiennent le sable. Enfin, elles ont reboisé afin de fixer les sols et de l’enrichir en humus. Elles ont bâti des fosses de dérivation à côté du ravin principal afin de recueillir le maximum d’eau.
Toutes ces techniques ont été mobilisées sur la même parcelle. Elles ont contribué efficacement à la correction de la dégradation des terres et de la végétation. Mais surtout elles permettent de lutter efficacement contre les impacts négatifs du climat. En les utilisant, les femmes des villages ont pu récupérer des terres cultivables, retenir l’eau, éviter le tarissement des ravins, recharger la nappe phréatique, créer des points d’eau, stabiliser des sols, réduire la vitesse de ruissellement des eaux, et voir le retour du tapis herbacé et arbustif. Tout ceci a bénéficié à l’ensemble des populations et constitue une stratégie d’adaptation réussie. En termes de genre, le programme de lutte antiérosive a particulièrement bénéficié aux femmes. Il leur a permis de diversifier et de développer leurs activités génératrices de revenus, a renforcé leurs capacités techniques et organisationnelles, a augmenté leurs revenus. Cette autonomisation économique a assuré la protection du village et consolidé la cohésion sociale ce qui autorise désormais aux femmes de revendiquer au sein des familles leurs droits à l’héritage foncier. Elles ont par ailleurs pris de l’assurance au sein des institutions politiques, dans les partis et dans les villages, affrontent des politiciens sur le terrain du non-respect de leurs engagements.
En plus d’être bien adaptée au local, d’être genrée, la stratégie globale du programme n’a pas demandé beaucoup de moyens financiers, ni de matériel, celui-ci étant accessible au niveau local. En cela elle constitue un bon choix d’adaptation.
Ce choix démontre l’intérêt pour les femmes des villages que la lutte antiérosive réponde à la fois aux besoins agricoles et aux besoins d’accès à l’eau potable dont souffre toute la Communauté. Les rendements agricoles se sont en effet largement améliorés, les femmes ont pu reprendre la commercialisation des plantes herbacées, ce qui a changé les conditions de vie de leur environnement proche (6). Par ailleurs, comme elles en témoignent aisément, si elles devaient choisir, elles opteraient pour une disponibilité accrue des ressources en eau, car cela leur fait gagner du temps. La présidente du groupement des femmes confirme : « nous avons constaté qu’il y avait beaucoup plus d’eau dans les puits et nous mettons cette année moins de temps car le puits se recharge sur environ 1 heure à 1,30 heure contre 2 à 3 heures l’année dernière à la même période. Nous allons continuer la lutte antiérosive pour de meilleurs résultats encore ».
Leçons retenues
Les agricultrices de la Communauté de Keur Moussa au Sénégal, en se mobilisant efficacement contre l’accélération de l’érosion hydrique due au changement climatique, sont des expertes de l’adaptation au changement climatique. En mobilisant une multiplicité de techniques adaptées à leur environnement géographique mais aussi économique et social, elles ont recréé tant les moyens d’une économie agricole soutenable que l’accès à une énergie vitale : l’eau.
Elles n’ont certes pas enrayé l’hémorragie migratoire qui a entaché cette région si proche de la capitale, mais elles ont su redonner vie à plusieurs villages dont l’avenir politique et économique était incertain. Cette stratégie d’adaptation a été rendue possible par le soutien sans faille de ENDA Pronat qui a su mettre en oeuvre des processus de consultation participatifs incluant tous les acteurs de la population.
Cette alliance entre participation sociopolitique et ingéniosité technique a fait la preuve de l’excellence à l’échelle locale en matière d’adaptation au changement climatique. Elle démontre une fois encore que c’est la dynamique sociale de genre qui trouve dans les technologies les solutions d’adaptation et non l’inverse.
L’étude de cas s’appuie sur les données de : Guèye, Yacine Diagne, 2008. Genre, Changements climatiques et Sécurité humaine. Dakar : Enda Editions, http://endaenergy.files.wordpress.com/2008/03/genre-cc.pdf
Enda, Banque de connaissances locales dans le cadre du Climat et Développement. Exemples de pratiques locales. Dakar : Enda Editions, http://www.enda-communities.org/lutte.pdf
Pour de plus amples informations, veuillez prendre contact avec : Yacine Diagne Gueye, coordinatrice de Programmes Enda Energie, gueyediagne@gmail.com et enda.energy@orange.sn, endaenergie.org.
Panorama québécois
Initiatives
Le Réseau des femmes en environnement (RFE), né en 1999 de la volonté de mettre en réseau des femmes du Québec engagées dans le développement durable et la préservation de l’environnement, organise une formation genre et changement climatique et a élaboré et déposé un projet de Déclaration « Énergie, genre et changements climatiques » auprès d’instances politiques en vue de la participation du Québec aux négociations entourant le suivi de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.
La Conférence régionale des élus Montérégie Est (CRÉ), instance régionale regroupant 107 municipalités, plus de 600 000 habitants sur un territoire de 7125 km2, 36 maires, 17 leaders socio-économiques et organismes non-traditionnels, a adopté en 2008 une Charte en développement durable dont le 1er principe est l’égalité homme-femme et a notamment comme objectif d’accroitre la participation des femmes dans tous les secteurs d’intervention liés au développement régional. La CRÉ a par ailleurs voté en 2009 une Politique régionale en égalité hommes/femmes. Ces deux outils lui permettent d’inciter ses partenaires politiques, économiques et communautaires à intégrer l’égalité de genre dans tous les secteurs du développement régional.
Parmi les réalisations de la CRÉ, on compte un colloque organisé avec le RFE en novembre 2010 sur le thème Genre et changement climatique, le soutien à des initiatives faisant la promotion du travail ou de l’entrepreneuriat féminins, dans les domaines financiers, institutionnels, opérationnels ou de recherche.
http://www.soreltracyregion.net/actualite/page/actualite/article/a/11638 – http://www.monteregie-est.org
GaïaPresse est une agence de presse environnementale en ligne née en 2008. Elle publie régulièrement des informations incluant les enjeux liés au genre du changement climatique, notamment lors des sommets onusiens (CdP16-Cancun, CdP17-Durban).
Publications
Plusieurs chaires de recherche effectuent des travaux dans le domaine genre et changement climatique. Quelques publications scientifiques en français existent et sont réparties dans l’ensemble de l’ouvrage (chapitre 2 et 3).
Personnes Ressources
Kim Conellissen, Bebop Inc et Association québécoise de la lutte à la pollution atmosphérique, ckimc21@gmail.com
Jacinthe Leblanc et Maude Prudhomme, Réseau québécois des groupes écologistes, maude@rqge.qc.ca
France Levert, Réseau des femmes en environnement du Québec, levert.France@hydro.qc.ca
Caroline Nantel, Conférence régionale des élus de la Montérégie Est, caroline.nantel@monteregie-est.org
Denise Proulx, GaiaPresse, denise.proulx@gaiapresse.ca
Annie Rochette, Université du Québec à Montréal, rochette.annie@uqam.ca
Élise Savoie, Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique, elosavoie@hotmail.com
(1) Créée en 1998, l’ONG Développement pour un Mieux-Etre (DEMI-E) intervient dans six régions du pays (Diffa, Maradi, Niamey, Tahoua, Tillabéry et Zinder) et touche plusieurs secteurs du développement.
(2) Enquête sur la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire, INS (Institut National de la Statistique) 2009.
(3) Le Projet de Gestion Intégrée des Ressources en Eau (PGIRE) est mis en oeuvre par un consortium d’organisations : Care International au Niger, le CRS (Catholic Relief Service), l’UICN (Union Internationale pour la Conservation de la Nature), l’Université de Niamey, l’Agence Intergouvernementale Eau et Assainissement en Afrique (EAA) et l’ONG DEMI-E, dans le cadre d’un programme dénommé Global Water Initiative (GWI).
(4) CRISTAL est l’acronyme anglais de l’outil, Community-based Risk Screening Tool – Adaptation and Livelihoods, qui est présenté dans la présente Boîte à outils.
(5) Adduction d’eau potable.
(6) Il n’existe pas à ce jour d’étude significative sur les effets de la lutte antiérosive sur l’exode rural des jeunes vers les villes. Cependant, depuis deux ans, il a été constaté le retour des jeunes pendant les vacances vers l’agriculture en zone sud et celui, progressif, des jeunes partis à Dakar dans la zone maraîchère.
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